E-Book, Französisch, 1640 Seiten
Tolstoï Tolstoï: Nouvelles et contes complètes
1. Auflage 2019
ISBN: 978-80-273-0234-5
Verlag: e-artnow
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Contes moraux et récits philosophiques de la Russie du XIXe siècle: spiritualité chrétienne, réalisme, analyse sociale
E-Book, Französisch, 1640 Seiten
ISBN: 978-80-273-0234-5
Verlag: e-artnow
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
e-artnow vous présente la collection des contes complètes de Tolstoi, une édition numérique méticuleusement éditée et formatée. Contenu: À la recherche du bonheur D'où vient le mal Le Filleul, Légende populaire Les Deux Vieillards De quoi vivent les hommes Histoire vraie Le Moujik Pakhom Feu allumé ne s'éteint plus Histoire de la petite Varenka qui devient grande en une nuit Les Trois Vieillards La Peine rigoureuse Une tourmente de neige L'Apôtre Jean et le brigand La Prière du berger, Conte arabe Malacha et Akoulina La Source La Vierge sage Le Cours de l'eau Le Pécheur repenti Le Premier Distillateur Le Grain de blé Les Pêches Là où est l'amour, là est dieu Le Faux Coupon La Matinée d'un seigneur Histoire d'un pauvre homme Le Père Serge Lucerne L'Évasion Pourquoi l'on tient à la vie Trois façons de mourir Ainsi meurt l'amour Histoire de la journée d'hier Albert Le Rêve Notes d'un fou La Mort d'Ivan Ilitch Nicolas Palkine Marchez pendant que vous avez la lumière Pourquoi? Deux hussards Hadji Mourad Le Journal posthume du vieillard Féodor Kouzmitch Le Journal d'un fou Deux Pélerins Khodynka La Mère Le Père Vassili Quels sont les assassins? Les Décembristes Le Diable Maître et serviteur
Autoren/Hrsg.
Weitere Infos & Material
Histoire vraie
Dieu voit la vérité, mais il ne la dit pas tout de suite.
Dans la ville de Vladimir vivait un jeune marchand du nom d’Aksénov. Il possédait deux boutiques et une maison.
D’un extérieur avenant, Aksénov était blond, frisé, ami de la liesse et des refrains. Dans sa jeunesse, il buvait beaucoup, et quand il avait bu il faisait du tapage. Mais une fois marié, il ne but plus que bien rarement.
Un jour d’été, Aksénov décida de se rendre à la foire de Mijni-Novogorod. Comme il faisait ses adieux aux siens, sa femme lui dit:
— Ivan Dmitriévitch, ne t’en va pas aujourd’hui. J’ai fait un mauvais rêve sur toi. Aksénov se mit à rire et dit:
— Tu as peur que je ne fasse quelque folie à la foire.
La femme répondit:
— Je ne sais pas au juste moi-même de quoi j’ai peur. Seulement j’ai fait un mauvais rêve. Je t’ai vu: tu venais de la ville, tu as ôté ton chapeau, et tout à coup j’ai vu ta tête toute blanche.
Aksénov se mit à rire de plus belle.
— Eh bien! C’est un bon signe. Va, je ferai de bonnes affaires et t’apporterai de beaux cadeaux. Il prit congé des siens et partit.
À mi-chemin, il rencontra un marchand de sa connaissance et s’arrêta avec lui pour la couchée. Ils prirent le thé ensemble et allèrent se coucher dans deux chambres contiguës. Aksénov n’était pas un grand dormeur. Il se réveilla au milieu de la nuit, et, pour voyager plus à son aise pendant la fraîcheur, il réveilla le yamschtschik et lui donna l’ordre d’atteler. Puis il entra dans l’isba toute noire, paya le patron et partit.
Après avoir fait une quarantaine de verstes, il s’arrêta de nouveau pour laisser manger les chevaux, se reposa lui-même dans l’auberge, sortit sur le perron vers l’heure du dîner et fit préparer le samovar. Il prit une guitare et se mit à jouer. Tout à coup arrive une troïka avec sa sonnette; un tchinovnik en descend avec deux soldats, s’approche d’Aksénov et lui demande qui il est et d’où il vient. Aksénov s’exécute et l’invite à prendre le thé avec lui. Mais le tchinovnik continue à le presser de questions:
— Où a-t-il dormi la nuit dernière? Était-il seul avec le marchand? Pourquoi a-t-il quitté l’auberge si précipitamment?
Aksénov, surpris de cet interrogatoire, raconta ce qui lui était arrivé; puis il dit:
— Pourquoi m’en demandez-vous si long? Je ne suis ni un voleur ni un brigand. Je voyage pour mes affaires et on n’a pas à m’interroger.
Alors le tchinovnik appela les soldats et dit:
— Je suis l’ispravnik, et si je te questionne, c’est parce que le marchand avec lequel tu as passé la nuit dernière a été égorgé. Montre tes effets… Et vous autres, fouillez-le.
On entra dans l’isba, on prit sa malle avec son sac, on les ouvrit, on chercha partout. Soudain l’ispravnik sortit du sac un couteau et s’écria:
— À qui ce couteau?
Aksénov regarda, vit un couteau taché de sang; c’était de son sac qu’on l’avait retiré, et la terreur l’envahit.
— Et pourquoi ce sang sur le couteau?
Aksénov voulut répondre, mais il ne pouvait articuler un seul mot.
— Moi… je ne sais pas… moi… un couteau… moi… il n’est pas à moi. Alors l’ispravnik dit:
— On a trouvé ce matin le marchand égorgé dans son lit. Hors toi, personne n’a pu commettre le crime. L’isba était fermée en dedans, et, dans l’isba, personne que toi. Voilà, de plus, un couteau taché de sang qu’on a trouvé dans ton sac. D’ailleurs, ton crime se lit sur ton visage. Avoue tout de suite comment tu l’as tué, combien d’argent tu as volé.
Aksénov jure Dieu que ce n’est pas lui le coupable; qu’il n’a pas vu le marchand depuis qu’il a pris le thé avec lui, qu’il n’a que son propre argent, 8000 roubles, et que le couteau n’est pas à lui. Mais sa voix s’étranglait, son visage était devenu pâle et il tremblait de peur comme un coupable.
L’ispravnik ayant appelé les soldats, ordonna de le lier et de le placer dans la voiture. Lorsqu’on l’eut mis dans la voiture, les pieds garrottés, Aksénov se signa et pleura. On lui prit tous ses effets avec son argent, et on l’envoya à la prison de la ville voisine. On fit faire une enquête à Vladimir; tous les marchands et habitants déclarèrent qu’Aksénov, quoique ayant aimé dans sa jeunesse à boire et à s’amuser, était un honnête homme. Puis l’affaire se jugea; on l’accusait d’avoir tué le marchand de Biazan et de lui avoir volé 20000 roubles.
La femme d’Aksénov était dans la désolation et ne savait que penser. Ses enfants étaient tout petits; l’un d’eux tétait encore. Elle les prit tous avec elle et se rendit dans la ville où son mari était emprisonné. D’abord on lui refusa de voir son mari, puis, sur ses instances, on le lui permit. En l’apercevant dans son costume de la prison, enchaîné, confondu avec des brigands, elle tomba par terre et ne put, de quelque temps, revenir à elle. Puis elle posa ses enfants auprès d’elle, s’assit à côté d’Aksénov, lui rendit compte des affaires du ménage et lui demanda le récit de tout ce qui lui était arrivé. Il lui raconta tout. Et elle dit:
— Comment faire à présent?
— Il faut aller supplier le tzar, répondit-il. Car cela ne se peut pas, que l’innocent soit puni. Sa femme lui dit alors qu’elle avait adressé une supplique au tzar; «mais elle ne lui aura pas été transmise, » dit-elle.
Aksénov ne répondit pas et resta accablé.
Et sa femme lui dit:
— Il n’était pas vain, le rêve que je fis, t’en souviens-tu, quand je te vis avec des cheveux blancs. Te voilà véritablement tout blanchi par le chagrin. Tu n’aurais pas dû partir alors.
Elle se mit à lui passer la main dans les cheveux, et dit:
— Vania, cher ami, dis la vérité à ta femme. N’est-ce pas toi qui l’as tué?
Et Aksénov dit:
— Et toi aussi, tu le penses!
Il cacha son visage dans ses mains et pleura. Un soldat parut; il annonça à la femme et aux enfants qu’il était temps de se retirer. Aksénov dit pour la dernière fois adieu à sa famille.
Quand sa femme fut partie, il repassa dans son esprit la conversation qu’ils venaient d’avoir. En se rappelant que sa femme y croyait aussi, elle, et lui avait demandé si ce n’était pas lui qui avait tué le marchand, il se dit:
— Dieu seul connaît la vérité; c’est Lui qu’il faut implorer. Attendons sa miséricorde.
Et depuis ce moment, Aksénov cessa d’envoyer des suppliques, ferma son âme à l’espoir, et ne fit plus que prier Dieu.
Le jugement condamna Aksénov au knout et, ensuite, aux travaux forcés. C’est ce qui fut fait.
On le battit du knout et, quand les blessures se furent cicatrisées, on l’envoya avec d’autres forçats en Sibérie.
En Sibérie, aux travaux forcés, Aksénov resta vingt-six ans. Ses cheveux devinrent blancs comme de la neige, et sa longue barbe grise tomba droit. Toute sa gaieté disparut. Il se voûtait, commençait à se traîner, parlait peu, ne riait jamais et priait souvent Dieu.
En prison, Aksénov apprit à faire des bottes.
Avec l’argent ainsi gagné, il acheta un Martyrologue, qu’il lisait lorsqu’il y avait de la lumière dans son cachot. Les jours de fête, il se rendait à la chapelle de la prison, lisait les Apôtres et chantait au chœur: il avait toujours sa jolie voix. Les autorités l’aimaient pour sa docilité; ses compagnons l’avaient en grande estime et l’appelaient «grand-père» et «homme de Dieu». Quand les prisonniers avaient quelque chose à demander, c’était toujours par Aksénov qu’ils faisaient présenter leur requête et, quand les forçats se prenaient de querelle, c’était encore Aksénov qu’ils choisissaient comme arbitre.
De sa maison, personne n’écrivait à Aksénov, il ignorait si sa femme et ses enfants vivaient encore.
Un jour on amena au bagne de nouveaux forçats. Le soir, les anciens demandèrent aux nouveaux de quelles villes, de quels villages ils venaient, et pour quelles causes. Aksénov s’était approché, lui aussi, et, la tête baissée, il écoutait ce qui se disait. L’un des nouveaux forçats était un vieillard d’une soixantaine d’années, d’une haute stature, à barbe grise et taillée. Il racontait les motifs de sa condamnation.
— C’est ainsi, mes frères, disait-il. On m’a envoyé ici pour rien. J’ai dételé un cheval d’un traîneau: on m’a saisi, en disant que je volais. Et moi j’ai dit: «Je ne voulais qu’aller plus vite; vous voyez bien que j’ai lâché le cheval… D’ailleurs le yamschtschik est mon ami… Il n’y a donc pas délit.» – «Non, me dit-on, tu l’as volé.» Et ils ne savaient ni où ni quand j’avais volé. Certes, j’avais commis des méfaits qui auraient dû me conduire ici depuis longtemps. Mais on ne put jamais me prendre sur le fait. Et aujourd’hui, c’est contre toute loi que l’on me déporte ici. Mais attendons… J’ai déjà été en Sibérie, mais je n’y suis pas resté longtemps…
— Et d’où viens-tu? Demanda l’un des forçats.
— Je suis de la ville de Vladimir. Je suis un meschtschanine de cette localité. Je m’appelle Makar, et, du nom de mon père, Sémionovitch.
Aksénov leva la tête et demanda:
— Eh!...




