Colette | Chéri | E-Book | www.sack.de
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E-Book, Französisch, 142 Seiten

Colette Chéri


1. Auflage 2025
ISBN: 978-3-8187-6733-4
Verlag: epubli
Format: EPUB
Kopierschutz: 0 - No protection

E-Book, Französisch, 142 Seiten

ISBN: 978-3-8187-6733-4
Verlag: epubli
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- Léa ! Donne-le-moi, ton collier de perles ! Tu m'entends, Léa ? Donne-moi ton collier ! Aucune réponse ne vint du grand lit de fer forgé et de cuivre ciselé, qui brillait dans l'ombre comme une armure. - Pourquoi ne me le donnerais-tu pas, ton collier ? Il me va aussi bien qu'à toi, - et même mieux ! Au claquement du fermoir, les dentelles du lit s'agitèrent, deux bras nus, magnifiques, fins au poignet, élevèrent deux belles mains paresseuses.

Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette, est une femme de lettres, actrice et journaliste française, née le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye et morte le 3 août 1954 à Paris
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— Mon bain, Rose ! La manucure peut s’en aller ; il est trop tard. Le costume tailleur bleu, le nouveau, le chapeau bleu, celui qui est doublé de blanc, et les petits souliers à pattes… non, attends…

Léa, les jambes croisées, tâta sa cheville nue et hocha la tête :

— Non, les bottines lacées en chevreau bleu. J’ai les jambes un peu enflées aujourd’hui. C’est la chaleur.

La femme de chambre, âgée, coiffée de tulle, leva sur Léa un regard entendu :

— C’est… c’est la chaleur, répéta-t-elle docilement, en haussant les épaules comme pour dire : « Nous savons… Il faut bien que tout s’use… »

Chéri parti, Léa redevint vive, précise, allégée. En moins d’une heure, elle fut baignée, frottée d’alcool parfumé au santal, coiffée, chaussée. Pendant que le fer à friser chauffait, elle trouva le temps d’éplucher le livre de comptes du maître d’hôtel, d’appeler le valet de chambre Émile pour lui montrer, sur un miroir, une buée bleue. Elle darda autour d’elle un œil assuré, qu’on ne trompait presque jamais, et déjeuna dans une solitude joyeuse, souriant au Vouvray sec et aux fraises de juin servies avec leurs queues sur un plat de Rubelles, vert comme une rainette mouillée. Un beau mangeur dut choisir autrefois, pour cette salle à manger rectangulaire, les grandes glaces Louis XVI et les meubles anglais de la même époque, dressoirs aérés, desserte haute sur pieds, chaises maigres et solides, le tout d’un bois presque noir, à guirlandes minces. Les miroirs et de massives pièces d’argenterie recevaient le jour abondant, les reflets verts des arbres de l’avenue Bugeaud, et Léa scrutait, tout en mangeant, la poudre rouge demeurée aux ciselures d’une fourchette, fermait un œil pour mieux juger le poli des bois sombres. Le maître d’hôtel, derrière elle, redoutait ces jeux.

— Marcel, dit Léa, votre encaustique colle, depuis une huitaine.

— Madame croit ?

— Elle croit. Rajoutez-y de l’essence en fondant au bain-marie, ce n’est rien à refaire. Vous avez monté le Vouvray un peu tôt. Tirez les persiennes dès que vous aurez desservi, nous tenons la vraie chaleur.

— Bien, Madame. Monsieur Ch… Monsieur Peloux dîne ?

— Je pense… Pas de crème-surprise ce soir, qu’on nous fasse seulement des sorbets au jus de fraises. Le café au boudoir.

En se levant, grande et droite, les jambes visibles sous la jupe plaquée aux cuisses, elle eut le loisir de lire, dans le regard contenu du maître d’hôtel, le « Madame est belle » qui ne lui déplaisait pas.

« Belle… » se disait Léa en montant au boudoir. Non. Plus maintenant. À présent il me faut le blanc du linge près du visage, le rose très pâle pour les dessous et les déshabillés. Belle… Peuh… je n’en ai plus guère besoin…

Pourtant, elle ne s’accorda point de sieste dans le boudoir aux soies peintes, après le café et les journaux. Et ce fut avec un visage de bataille qu’elle commanda à son chauffeur :

— Chez Madame Peloux.

Les allées du Bois, sèches sous leur verdure neuve de juin que le vent fane, la grille de l’octroi, Neuilly, le boulevard d’Inkermann… « Combien de fois l’ai-je fait, ce trajet-là ? » se demanda Léa. Elle compta, puis se lassa de compter, et épia, en retenant ses pas sur le gravier de Mme Peloux, les bruits qui venaient de la maison.

— Ils sont dans le hall, dit-elle.

Elle avait remis de la poudre avant d’arriver et tendu sur son menton la voilette bleue, un grillage fin comme un brouillard. Et elle répondit au valet qui l’invitait à traverser la maison :

— Non, j’aime mieux faire le tour par le jardin.

Un vrai jardin, presque un parc, isolait, toute blanche, une vaste villa de grande banlieue parisienne. La villa de Mme Peloux s’appelait « une propriété à la campagne » dans le temps où Neuilly était encore aux environs de Paris. Les écuries, devenues garages, les communs avec leurs chenils et leurs buanderies en témoignaient, et aussi les dimensions de la salle de billard, du vestibule, de la salle à manger.

— Madame Peloux en a là pour de l’argent, redisaient dévotement les vieilles parasites qui venaient, en échange d’un dîner et d’un verre de fine, tenir en face d’elle les cartes du bésigue et du poker. Et elles ajoutaient : « Mais où Madame Peloux n’a-t-elle pas d’argent ? »

En marchant sous l’ombre des acacias, entre des massifs embrasés de rhododendrons et des arceaux de roses, Léa écoutait un murmure de voix, percé par la trompette nasillarde de Mme Peloux et l’éclat de rire sec de Chéri.

« Il rit mal, cet enfant », songea-t-elle. Elle s’arrêta un instant, pour entendre mieux un timbre féminin nouveau, faible, aimable, vite couvert par la trompette redoutable.

« Ça, c’est la petite », se dit Léa.

Elle fit quelques pas rapides et se trouva au seuil d’un hall vitré, d’où Mme Peloux s’élança en criant :

« Voici notre belle amie ! »

Ce tonnelet, Mme Peloux, en vérité Mlle Peloux, avait été danseuse, de dix à seize ans. Léa cherchait parfois sur Mme Peloux ce qui pouvait rappeler l’ancien petit Éros blond et potelé, puis la nymphe à fossettes, et ne retrouvait que les grands yeux implacables, le nez délicat et dur, et encore une manière coquette de poser les pieds en « cinquième » comme les sujets du corps de ballet.

Chéri, ressuscité du fond d’un rocking, baisa la main de Léa avec une grâce involontaire, et gâta son geste par un :

— Flûte ! tu as encore mis une voilette, j’ai horreur de ça.

— Veux-tu la laisser tranquille ! intervint Mme Peloux. On ne demande pas à une femme pourquoi elle a mis une voilette ! Nous n’en ferons jamais rien, dit-elle tendrement à Léa.

Deux femmes s’étaient levées dans l’ombre blonde du store de paille. L’une, en mauve, tendit assez froidement sa main à Léa, qui la contempla des pieds à la tête.

— Mon Dieu, que vous êtes belle, Marie-Laure, il n’y a rien d’aussi parfait que vous !

Marie-Laure daigna sourire. C’était une jeune femme rousse, aux yeux bruns, qui émerveillait sans geste et sans paroles. Elle désigna, comme par coquetterie, l’autre jeune femme :

— Mais reconnaîtrez-vous ma fille Edmée ? dit-elle.

Léa tendit vers la jeune fille une main qu’on tarda à prendre :

— J’aurais dû vous reconnaître, mon enfant, mais une pensionnaire change vite, et Marie-Laure ne change que pour déconcerter chaque fois davantage. Vous voilà libre de tout pensionnat ?

— Je crois bien, je crois bien, s’écria Mme Peloux. On ne peut pas laisser sous le boisseau éternellement ce charme, cette grâce, cette merveille de dix-neuf printemps !

— Dix-huit, dit suavement Marie-Laure.

— Dix-huit, dix-huit !… Mais oui, dix-huit ! Léa, tu te souviens ? Cette enfant faisait sa première communion l’année où Chéri s’est sauvé du collège, tu sais bien ? Oui, mauvais garnement, tu t’étais sauvé et nous étions aussi affolées l’une que l’autre !

— Je me souviens très bien, dit Léa, et elle échangea avec Marie-Laure un petit signe de tête, — quelque chose comme le « touché » des escrimeurs loyaux.

— Il faut la marier, il faut la marier ! continua Mme Peloux qui ne répétait jamais moins de deux fois une vérité première. Nous irons tous à la noce !

Elle battit l’air de ses petits bras et la jeune fille la regarda avec une frayeur ingénue.

« C’est bien une fille pour Marie-Laure, songeait Léa très attentive. Elle a, en discret, tout ce que sa mère a d’éclatant. Des cheveux mousseux, cendrés, comme poudrés, des yeux inquiets qui se cachent, une bouche qui se retient de parler, de sourire… Tout à fait ce qu’il fallait à Marie-Laure, qui doit la haïr quand même… »

Mme Peloux interposa entre Léa et la jeune fille un sourire maternel :

— Ce qu’ils ont déjà camaradé dans le jardin, ces deux enfants-là !

Elle désignait Chéri, debout devant la paroi vitrée et fumant. Il tenait son fume-cigarette entre les dents et rejetait la tête en arrière pour éviter la fumée. Les trois femmes regardèrent le jeune homme qui, le front renversé, les cils mi-clos, les pieds joints et immobiles, semblait pourtant une figure ailée, planante et dormante dans l’air… Léa ne se trompa point à l’expression effarée, vaincue, des yeux de la jeune fille. Elle se donna le plaisir de la faire tressaillir en lui touchant le bras. Edmée frémit toute entière, retira son bras et dit farouchement tout bas :

— Quoi ?…

— Rien, répondit Léa. C’est mon gant qui était tombé.

— Allons, Edmée ? ordonna Marie-Laure avec nonchalance.

La jeune fille, muette et docile, marcha vers Mme Peloux qui battit des ailerons :

— Déjà ? Mais non ! On va se revoir ! on va se revoir !

— Il est tard, dit Marie-Laure. Et puis, vous attendez...



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