Colette | Le Képi | E-Book | www.sack.de
E-Book

E-Book, Französisch, 134 Seiten

Colette Le Képi


1. Auflage 2025
ISBN: 978-3-8187-6879-9
Verlag: epubli
Format: EPUB
Kopierschutz: 0 - No protection

E-Book, Französisch, 134 Seiten

ISBN: 978-3-8187-6879-9
Verlag: epubli
Format: EPUB
Kopierschutz: 0 - No protection



Çà et là j'ai parlé, selon mes souvenirs, de Paul Masson, dit Lemice-Térieux. Ex-président du Tribunal de Pondichéry, mystificateur de grand mérite, - et de grand péril, - il était attaché au Catalogue de la Bibliothèque Nationale. À cause de lui, à cause de la Bibliothèque, je connus la femme de qui je vais conter l'unique aventure amoureuse. L'homme mûr, Paul Masson, et la très jeune femme que j'étais, nouèrent quelque huit années durant une amitié assez solide. Sans gaîté Paul Masson se dévouait à m'égayer. Je pense qu'il ressentait, à me voir très seule et casanière, une pitié qu'il dissimulait, et qu'en outre il était fier de déchaîner facilement mon rire

Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette, est une femme de lettres, actrice et journaliste française, née le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye et morte le 3 août 1954 à Paris
Colette Le Képi jetzt bestellen!

Weitere Infos & Material


LE TENDRON


— Vous qui n’avez aucun sujet de rester à Paris, disais-je en mai 1940 à mon vieil ami — comment vais-je l’appeler ? mettons Chaveriat, oui, Albin Chaveriat ; les Chaveriat sont assez nombreux en France, venus du pays basque, enracinés dans la Franche-Comté et un peu partout, pour qu’aucun d’eux ne réclame contre l’usage que je fais de son nom — vous qui ne ferez que languir à Paris tant que durera la guerre, fixez-vous pour un bout de temps à la campagne. Pourquoi n’iriez-vous pas retrouver Curnonsky à Riec-sur-Belon, chez Mélanie ?

— Je n’aime pas le vent de mer, dit Chaveriat. Et je ne veux pas non plus manger trop bien. Je perdrais ma taille.

— Le Midi ? Saint-Tropez ? Cavalaire ?

Chaveriat hérissa sa courte moustache blanche :

— Décors de fête… la fête morte, c’est sinistre.

— Vous sentez-vous une vocation d’hôte payant ? Allez en Normandie, chez les Hersent qui ne bougeront de leur propriété que si on les en déloge par le fer et par le feu. Il y a une rivière, un billard, un tennis mal entretenu, un jeu de croquet… Toute la famille est bien portante, et rien qu’avec leurs filles et nièces, ils font le plein de jeunes filles…

— Pas un mot de plus, vous venez juste de dire ce qu’il fallait pour m’en détourner.

— Ni le vent, ni la bonne chère, ni le Midi, ni les jeunes filles… Vous êtes difficile à caser, Albin.

— Je l’ai toujours été, chère amie. C’est ce qui a fait de moi, finalement, la perle des célibataires…

Chaveriat marcha, sans canne, jusqu’à l’une de mes trois fenêtres. Quand il faisait attention, il boitait peu. L’an dernier, « une goutte remontée au cœur », comme on disait autrefois, l’a mis en repos, avant qu’une impotence définitive ait humilié sa prestance d’homme resté mince à soixante-dix ans. Blanc de poil, l’œil noir vif, la moustache taillée aux ciseaux, on disait de lui qu’il avait dû faire, en son jeune temps, bien des malheureuses. Mais je puis affirmer que dès 1906 il n’était qu’un brun assez banal.

Bon marcheur, il aimait les trajets à pied autant que les coiffeurs aiment la pêche à la ligne. À la campagne, Albin qui ne chassait pas se promenait longuement avec un fusil. Il rapportait, en guise de gibier, un petit pêcher rose rompu par une rafale de grêle, un chat abandonné, un plein mouchoir de cèpes. De pareils traits le rendaient sympathique. Je cherchais en vain, de loin en loin, ce qui manquait à notre amitié limitée par les secrets, très bien gardés, de la vie amoureuse d’Albin Chaveriat. Avant sa mort, il ne m’en livra qu’un, justement ce jour où je lui proposai de passer la guerre — nous ne savions pas, en mai 1940, la portée de ces mots-là — dans une propriété tout éclairée de jeunes filles. Car je revins sur son refus, auquel il avait donné l’accent réservé, la forme réticente qui provoquent l’interlocuteur à une réplique inévitable : « Vous, mon bonhomme, vous ne sortirez pas de chez moi sans m’avoir raconté toute l’histoire ! »

Albin ne sortit pas de chez moi. Je le gardai d’autant plus aisément qu’il y avait à dîner du poisson très frais, des champignons retirés du feu avant qu’ils fussent réduits à l’état de loques sans saveur comme on les sert sur presque toutes les tables françaises, et une crème au chocolat semi-liquide, pour contenter ceux qui la veulent manger à la cuiller et ceux qui aiment la boire à même le petit pot… En 1940, nos marchés de Paris étaient encore si riches que nous traversions le quartier des Halles pour le plaisir des yeux. Notre langage adoptait des expressions telles que « drôle de guerre », « guerre larvée », et nous étions un peu, tous, comme des bêtes sans flair…

J’offris à mon convive, pour le délier de sa discrétion, mon reste de bon marc.

— Ce sont les Hersent qui vous éloignent de la Normandie, ou leur abondance de jeunes filles, mon colonel ?

Depuis longtemps Chaveriat ne riait plus quand on l’appelait ainsi. Je crois qu’il aimait assez qu’on saluât d’un grade de fantaisie sa brosse de cheveux blancs, sa moustache et sa boiterie sans disgrâce.

— Ni l’une, ni les autres, chère amie. Rien ne me plaît autant que la Normandie, et j’ai toujours chéri les jeunes filles, ou plutôt la jeune fille.

— Tiens !

— Ça vous étonne ? Pourquoi ? Nous ne nous connaissons guère que depuis vingt-cinq ans, et j’en ai soixante-huit. Pensez-vous que durant quarante ans environ, je n’ai été occupé que de ressembler à l’idée que vous vous faites de moi et qui est sans doute très différente de celle que je m’en fais ? Oui, j’ai préféré à tout les jeunes filles et la chasse. Maintenant, je ne viserais pas un geai et une jeune fille m’a, non pas guéri, mais écarté des jeunes filles… Vous voulez une histoire, vous allez l’avoir. Elle n’est pas belle, loin de là. Mais elle ne peut plus faire de mal à personne, et son héroïne a, je le crains pour elle, des fils de dix-huit ans.

« Par où m’est venu le goût des jeunes filles ? Je crois que c’est par une amitié virile. Entre quinze et vingt ans, j’ai eu un ami, un de ces compagnons d’adolescence auxquels un garçon normal est plus fidèle de cœur qu’à une maîtresse. Passée la vingtième année, une femme, la période militaire, un métier, font irruption dans la vie et gâtent cette belle entr’aide sentimentale. Encore le service militaire compta peu pour Eyrand et moi, nous l’avons subi ensemble. La première trahison vint de lui, j’appelai ainsi son mariage. Se marier à vingt-trois ans et demi, ma famille décréta que c’était une « imprudence ». Moi, je viens de vous dire le nom que je donnai à notre séparation. Non, merci, un verre de marc me suffit. Si je buvais davantage, je raconterais mal et d’une manière pas assez impartiale.

« Je me souviens que je refusai raidement à Eyrand de passer les vacances chez lui, la première année de son mariage, dans un petit manoir qui représentait, entouré d’une trentaine d’hectares, le plus clair de la dot de sa femme, et qu’il fit valoir lui-même. Il eut beau me récrire, m’envoyer en instantanés les portraits de sa jeune femme, de ses bœufs, de sa métairie, je restais de mauvais poil, je répondais des lettres stupides parce que je pensais que sa femme les lisait… Et aussi parce que celles de mon ami ne reflétaient qu’un bonheur épais. Jamais un doute, ni un ennui, ni une inquiétude, ni quoi que ce soit dont j’aurais pu le consoler… Au fait, je veux bien une goutte de marc. Une goutte, pas plus haut que l’étoile taillée dans le verre…

« À la fin Eyrand se lassa, vous pensez bien. Quand je vis perdu, et beaucoup par ma faute, un ami que je ne songeai pas à remplacer, je ne me fis sociable qu’auprès des créatures féminines très jeunes, où je trouvais de la brusquerie sincère, un intérêt presque toujours affecté, la beauté en esquisse, le caractère en projets. Elles avaient dix-sept, dix-huit ans, un peu plus, un peu moins, pendant que j’avançais, moi, vers la trentaine, et qu’à leurs côtés je croyais avoir le même âge qu’elles. À leurs côtés… Je peux dire plus véridiquement dans leurs bras. Qu’est-ce qu’il y a, dans une jeune fille, d’achevé, de prêt à servir, d’enthousiaste, sinon sa sensualité ?… Non, ne discutons pas là-dessus, je sais que vous n’êtes pas de mon avis. Vous ne m’empêcherez pas, et pour cause, d’avoir porté une préférence presque épouvantée pour ce qui couve de frénésie, de décision, de prodigalité et de prudence ensemble, chez une jeune fille qui a, comment dire… qui a passé certaines bornes. Il faut avoir connu un assez grand nombre de jeunes filles pour savoir que comparées aux femmes faites la plupart d’entre elles sont des championnes du risque, des inspirées de l’espèce, et que dans des conjonctures dangereuses rien n’égale leur sérénité. L’opinion générale a sa formule : « le lâche qui s’attaque aux jeunes filles… » Seigneur ! Je peux vous dire qu’il faut au contraire un tempérament bien particulier, et un spécial empire sur soi pour leur résister. Simplement, ôtez-vous de l’idée que mon penchant ait tourné à la monomanie, et à une vilaine exclusivité. En amour, j’ai été souvent un homme comme les autres, chargé, un temps, d’une liaison, attiré vers un mariage raisonnable, puis le fuyant non moins raisonnablement, irrésolu — je vous dis, un homme pareil aux autres hommes.

« En 1923, je ne chassais déjà plus, mais j’acceptais des invitations de chasseurs. Un de mes amis, un pharmacien retiré des affaires — il y a eu des régions où tous les grands domaines, un moment, passaient aux mains des ci-devant pharmaciens — venait d’acheter une si belle propriété dans le Doubs que j’aménageai toute mon année en vue d’une villégiature d’arrière-saison, entre le 15 août et le 15 octobre. J’y fus moins content que je ne l’espérais, à cause d’une fournée assez mal composée, et de la gloutonnerie fastueuse qui y régnait. Chère et boissons, tout était en excès, et quotidiennement. Au point que je me déguisai en rêveur atteint du foie, pour avoir droit à la solitude et à la sobriété. Les châtelains régionaux me tapaient sur l’épaule après les repas, en éructant discrètement : « Alors, ça ne va pas ? Vous devriez voir quelqu’un… » Je m’abstenais de leur répondre que j’eusse préféré au...



Ihre Fragen, Wünsche oder Anmerkungen
Vorname*
Nachname*
Ihre E-Mail-Adresse*
Kundennr.
Ihre Nachricht*
Lediglich mit * gekennzeichnete Felder sind Pflichtfelder.
Wenn Sie die im Kontaktformular eingegebenen Daten durch Klick auf den nachfolgenden Button übersenden, erklären Sie sich damit einverstanden, dass wir Ihr Angaben für die Beantwortung Ihrer Anfrage verwenden. Selbstverständlich werden Ihre Daten vertraulich behandelt und nicht an Dritte weitergegeben. Sie können der Verwendung Ihrer Daten jederzeit widersprechen. Das Datenhandling bei Sack Fachmedien erklären wir Ihnen in unserer Datenschutzerklärung.