E-Book, Französisch, 300 Seiten
Pergaud La Guerre des boutons
1. Auflage 2021
ISBN: 978-2-322-37926-2
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
E-Book, Französisch, 300 Seiten
ISBN: 978-2-322-37926-2
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Qui ne connaît pas l'histoire, à défaut d'avoir lu le livre ? Une guerre, oui, mais menée par des enfants. Les uns, dirigés par l'Aztec, appartiennent au village de Velrans de tendance catholique, les autres, sous le commandement de Lebrac, combattent pour la gloire de Longeverne, plutôt laïc. L'enjeu est représenté par les boutons, trophées arrachés à ses ennemis par le général victorieux... Si l'auteur ne porte aucun jugement de valeur sur le tempérament guerrier ni sur les causes du comportement de ces enfants, il n'en dépeint pas moins une réalité: deux villages voisins se livrent une lutte sans merci où l'esprit revanchard, «de clocher» et nationaliste, joue un rôle moteur. En rébellion contre la dureté de l'école, soumis malgré eux à la brutalité de leurs parents, les enfants ne peuvent trouver d'exutoire que dans les délices de la guerre. C'est dans les préparatifs de celle-ci qu'ils font l'apprentissage de la démocratie, c'est en livrant des batailles sanglantes qu'ils affirment leur virilité tout en assouvissant librement les désirs réprimés par la société.
Louis Émile Vincent Pergaud est un instituteur et romancier français né le 22 janvier 1882 à Belmont (Doubs) et mort pour la France le 8 avril 1915 à Fresnes-en-Woëvre (Meuse), peu après la bataille de la Woëvre. Il est l'auteur de De Goupil à Margot, prix Goncourt 1910, et de La Guerre des boutons, paru en 1912.
Autoren/Hrsg.
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Livre II. De l’argent !
Le trésor de guerre. L’argent est le nerf de la guerre. BISMARCK. Les camarades, le lendemain, en se rendant à l’école, apprirent lambeau par lambeau l’histoire du père Zéphirin. Le village, tout entier en rumeur, commentait joyeusement les diverses phases de cette bachique équipée : seul le héros principal, ronflant d’un sommeil d’ivrogne, ignorait encore les dégâts commis dans son ménage et les coups de mine dont sa conduite de la veille avait sapé sa réputation. Dans la cour de l’école, le groupe des grands, Lebrac au centre, se tordait de rire, chacun racontant très haut, pour que le maître entendît, tout ce qu’il savait des histoires scabreuses qui couraient les rues, et tous insistaient avec force sur les détails salaces et verts : la marmite et le lit. Ceux qui ne disaient rien riaient de toutes leurs dents et leurs yeux orgueilleux luisaient d’un feu vainqueur, car ils songeaient qu’ils avaient tous plus ou moins coopéré à ces équitables et dignes représailles. Ah ! il pouvait gueuler maintenant, Zéphirin ! Quel respect voulez-vous qu’on porte à un type qui se saoule « si tellement » qu’on le ramasse plein comme une vache dans les fosses à purin de la commune et perd la tramontane à un tel point qu’il en vient à considérer son lit comme une pissotière et à prendre sa marmite pour un pot de chambre. Seulement, en sourdine, les plus grands, les guerriers importants, sollicitaient des explications et réclamaient des détails. Bientôt tous connurent la part que chacun des huit avait eue dans l’œuvre de vengeance. Ils surent ainsi que le coup des arrosoirs et celui des allumettes étaient de Camus, Tintin guettant l’arrivée et le signal de Gambette, et que les grosses opérations étaient les fruits de l’imagination de Lebrac. Le vieux s’apercevrait encore plus tard que le vin restant dans sa bouteille avait un goût de pétrole ; il se demanderait quel cochon de chat avait mis le nez dans son bol de cancoillotte[1] et pourquoi ce reste de fricot d’oignons était si salé… Oui, et ce n’était pas tout. Qu’il recommençât seulement pour voir, à em… nuyer Lebrac et sa troupe ! et on lui réserverait quéque chose de mieux encore et de plus soigné. Le chef ruminait, en effet, de lui boucher sa cheminée avec de la marne, de lui démonter sa charrette et d’en faire disparaître les roues, de venir lui « râper la tuile »[2] tous les soirs pendant huit jours, sans compter le pillage des fruits de son verger et la mise à sac de son potager. – Ce soir, conclut-il, on sera tranquille. Il n’osera pas sortir. D’abord il est tout « beugné » d’avoir piqué des têtes dans les rigoles et puis il a assez de travail chez lui. Quand on a de la besogne chez soi, on ne fourre pas le nez dans celle des autres ! – Est-ce qu’on va se remettre encore à poil ? questionna Boulot. – Mais, puisque nous ne seront pas embêtés, fit Lebrac, bien sûr ! – C’est que, hasardèrent plusieurs voix mon vieux, tu sais, il ne faisait guère chaud hier au soir, on en était tout « rengremesillé » avant la charge. – J’avais la peau comme une poule déplumée, moi, déclara Tintin, et le zizi qui fondait « si tellement » que y en avait pus. – Et puis les Velrans ne veulent pas venir ce soir. Hier, ils ont trop eu le trac. Ils ne savaient pas ce qui leur arrivait dessus. Ils ont cru qu’on tombait de la lune. – C’était pas ce qui manquait, les lunes, remarqua La Crique. – Sûrement que ce soir ils vont muser à ce qu’ils pourraient bien trouver et on en serait pour se moisir là-bas, sur place ! – Si Bédouin ne vient pas ce soir, il peut venir quelqu’un d’autre (il a dû blaguer chez Fricot) et on risque bien plus encore de se faire piger ; tout le monde n’est pas aussi décati que le garde ! – Et puis, nom de Dieu ! non ! je ne me bats plus à poil, articula Guerreuillas, levant carrément l’étendard de la révolte ou tout au moins de la protestation irréductible. Chose grave ! Il fut appuyé par de très nombreux camarades qui s’en étaient toujours remis docilement aux décisions de Lebrac. La raison de ce désaccord, c’est que la veille, au cours de la charge, en plus du froid ressenti, ils s’étaient en outre qui planté une épine dans le pied, qui écorché les orteils sur des chardons ou blessé les talons en marchant sur des cailloux. Bientôt toute l’armée bancalerait ! Ce serait du propre ! Non vraiment, ça n’était pas un métier ! Lebrac, seul, ou presque, de son opinion, dut convenir que le moyen qu’il avait préconisé offrait en effet de notoires inconvénients et qu’il serait bon d’en trouver un autre. – Mais lequel ? Trouvez-en puisque vous êtes si malins ! reprit-il, vexé au fond du peu de succès en durée qu’avait eu son entreprise. On chercha. – On pourrait peut-être se battre en manches de chemises, proposa La Crique ; les blouses au moins n’auraient pas de mal et, avec des ficelles pour les souliers et des épingles pour le pantalon, on pourrait rentrer. – Pour te faire punir le lendemain par le père Simon qui te dira que tu as une tenue débraillée et qui en préviendra tes vieux ! hein ! Qui c’est qui te remettra des boutons à ta chemise et à ton tricot ? Et tes bretelles ? – Non, c’est pas un moyen ça ! Tout ou rien ! trancha Lebrac. Vous ne voulez pas de rien, il faut tout garder. – Ah ! fit La Crique, si on avait quelqu’un pour nous recoudre des boutons et refaire les boutonnières ! – Et aussi pour te racheter des cordons, et des jarretières, et des bretelles, hein ? Pourquoi pas pour te faire pisser pendant que tu y es et puis torcher le « jacquot » à « mocieu » quand il a fini de se vider le boyau gras, hein ! – Ce qu’il faut, je vous le dis encore, moi, na ! « pisse que » vous ne trouvez rien, reprit Lebrac, ce qu’il nous faut, c’est des sous ! – Des sous ? – Oui, bien sûr ! parfaitement ! des sous ! Avec des sous on peut acheter des boutons de toutes sortes, du fil, des aiguilles, des agrafes, des bretelles, des cordons de souliers, du « lastique », tout, que je vous dis, tout ! – C’est bien vrai ça, tout de même ; mais pour acheter ce fourbi que tu dis, il faudrait qu’on nous en donne beaucoup de sous, p’t’être bien cent sous ! – Merde ! une roue de brouette ! jamais on n’aura ça. – Pour qu’on nous les donne d’un seul coup, sûrement non ; il n’y a pas à y compter, mais écoutez-moi bien, insista Lebrac, il y aurait un moyen tout de même d’avoir presque tout ce qu’il nous faut. – Un moyen que tu… – Écoute donc ! C’est pas tous les jours qu’on est fait prisonnier, et puis nous en rechiperons des p’tits Migue la Lune et alors… – Alors ? – Alors nous les garderons, leurs boutons, leurs agrafes, leurs bretelles, aux peigne-culs de Velrans ; au lieu de couper les cordons, on les mettra de côté pour avoir une petite réserve. – Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir pris, interrompit La Crique, qui, bien que jeune, avait déjà des lettres. Si nous voulons être sûrs d’avoir des boutons, et nous pouvons en avoir besoin d’un jour à l’autre, le meilleur est d’en acheter. – T’as des ronds ? ironisa Boulot. – J’en ai sept dans une tirelire en forme de « guernouille », mais il n’y a pas à compter dessus, la guernouille les dégobillera pas de sitôt ; ma mère sait « combien qu’il y en a », elle garde le fourbi dans le buffet. Elle dit qu’elle veut m’acheter un chapeau à Pâques… ou à la Trinité, et si j’en faisais couler un je recevrais une belle dinguée. – C’est toujours comme ça, bon Dieu ! ragea Tintin. Quand on nous donne des sous, c’est jamais pour nous ! Faut absolument que les vieux posent le grappin dessus. Ils disent qu’ils font de grands sacrifices pour nous élever, qu’ils en ont bien besoin pour nous acheter des chemises, des habits, des sabots, j’sais ti quoi ! moi ; mais je m’en fous de leurs nippes, je voudrais qu’on me les donne, mes ronds, pour que je puisse acheter quelque chose d’utile, ce que je voudrais : du chocolat, des billes, du lastique pour une fronde, voilà ! mais il n’y a vraiment que ceux qu’on accroche par-ci par-là qui sont bien à nous et encore faut pas qu’ils traînent longtemps dans nos poches ! Un coup de sifflet interrompit la discussion, et les écoliers se mirent en rang pour entrer en classe. – Tu sais, confia Grangibus à Lebrac, moi, j’ai deux ronds qui sont à moi et que personne ne sait. C’est Théodule d’Ouvans qui est venu au moulin et qui me les a donnés passe que j’ai tenu son cheval. C’est un chic type, Théodule, il donne toujours quéque chose… tu sais bien, Théodule, le républicain, celui qui pleure quand il est saoul ! – Taisez-vous, Adonis ! – Grangibus était prénommé Adonis...