E-Book, Französisch, Band 6, 456 Seiten
Reihe: Stella Incognita
Chumarova / Minne Sexes, sexualités et relations sexuelles dans la science-fiction
1. Auflage 2025
ISBN: 978-2-322-62183-5
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 0 - No protection
E-Book, Französisch, Band 6, 456 Seiten
Reihe: Stella Incognita
ISBN: 978-2-322-62183-5
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 0 - No protection
Par sa nature même, la science-fiction est un terrain parfait pour aborder toutes les questions autour du sexe, de la sexualité et des relations sexuelles. A travers des oeuvres littéraires, cinématographiques, graphiques et plastiques, contemporaines ou nées au cours du XXe siècle, la science-fiction reflète notre société en cours de transformation, expérimente avec nos désirs, questionne nos préjugés. Nous vivons aujourd'hui une époque où les idées d'une masculinité forte et conquérante trouvent de nombreux adeptes, jusqu'à influencer les décisions politiques, et où renaissent les batailles féministes d'antan. C'est aussi une période où les mouvements LGBTQ+ se sentent de plus en plus en danger, tout en voyant augmenter le nombre de personnes qui assument ouvertement leur véritable identité de genre et de sexualité. Ce volume vous propose un voyage dans des mondes imaginaires, aux rôles binaires ou aux sexualités plurielles et multiformes, à la découverte de facettes variées des sexualités et des relations sexuelles. Les études universitaires y sont suivies par un entretien collectif et des extraits littéraires de Joëlle Wintrebert, Christophe Siébert, Audrey Pleynet et Saul Pandelakis.
Natalia Chumarova est membre de l'association Stella Incognita, dont la mission est l'étude universitaire de la science-fiction sous toutes ses formes.
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La sexualité dans la science-fiction russe, soviétique et russe de nouveau
Leonid Heller Professeur honoraire, Université de Lausanne Pendant longtemps, la littérature russe a été représentée, à l’image de ses héroïnes préférées, comme chaste ou vierge (tsélomoudrennaïa). La pression culturelle soviétique se conjuguait si efficacement à l’autorité d’une tradition bien filtrée que l’idée du puritanisme russe a presque fait à l’Occident oublier le cliché du « Slave débridé » à la Raspoutine. Parmi les spécialistes ès lettres russes, on avait la connaissance des « contes secrets » populaires, des poèmes attribués au légendaire pornographe du XVIIIe siècle Ivan Barkov, des grivoiseries d’un Pouchkine ou d’un Lermontov1. On savait mettre en lumière le symbolisme sexuel de tel ou tel autre auteur2. On mesurait l’importance de la grande Question Sexuelle pour le modernisme3. Mais tout cela pendant longtemps apparaissait comme autant de phénomènes sinon négligeables, du moins périphériques. La réalité est bien sûr plus complexe et depuis un certain temps, il existe déjà des travaux de recherche qui explorent cette complexité4. Le Livre des Cent chapitres, Stoglav, qui consigne les décisions du Concile de 1551, contient un rappel à l’ordre aux prédicateurs itinérants peu respectueux envers les icônes. Le rappel se termine et se justifie ainsi : « Inozemcy divujutsja » (Les étrangers s’étonnent5). La phrase accompagne, souvent en sourdine, mainte discussion entre les Russes sur la Russie, traduisant un sentiment permanent d’être observé, une vulnérabilité face à l’Occident, une peur de la déconsidération, en même temps qu’une sorte de vanité et de complaisance vis-à-vis de soi-même. Or ce n’était pas l’excessive pudeur qui étonnait les étrangers. Casanova, agréablement surpris par l’absence de honte chez les Russes, achète une jeune villageoise, tout en s’assurant devant les parents de sa virginité. Ses soirées érotiques à Pétersbourg ne le cèdent en rien à celles de Paris ou de Venise6. Jean-Baptiste May voit les bains russes comme une « image fidèle du sabbat7 ». Jean-François Georgel note lors de son voyage en 1800 : On peut être impunément ivrogne, voleur, libertin, débauché, si on a jeûné les quatre carêmes, si on a fléchi le genou devant les images. Aussi, d’après ce que j’ai vu à Saint-Pétersbourg, on peut dire que l’ivrognerie, le vol et le libertinage sont des vices nationaux.8 Quant à Charles-François Masson, il rapporte la découverte, sous le règne de Catherine, d’un « club physique », « une espèce d’ordre, surpassant en turpitude tout ce que l’on a raconté des institutions et des mystères les plus impudiques9 ». C’est probablement en pensant à ce récit de Masson que Charles Fourier imagine ses « orgies Harmoniques », appelées à devenir composante capitale de son utopie : Je ne connais rien de plus remarquable qu’une association de Moscovites (…) nommée le club physique. Les associés, admis par un concierge qui les connaissait (les initiés), se déshabillaient dans un cabinet et entraient nus dans la salle de séance, qui était obscure et où chacun palpait, fourrageait et opérait au hasard sans savoir à qui il avait à faire10. Prenons garde de nuancer ces jugements péremptoires sur un pays présumé exotique et « barbare ». D’ailleurs, un genre littéraire particulier, la réfutation de tels jugements vus comme autant de « falsifications », pratiqué déjà sous Catherine, survit aujourd’hui, après avoir fleuri à l’époque soviétique11. Pourtant, les récits des étrangers sont corroborés par des témoignages internes. Tel ce texte qui mérite d’être connu : Confession sexuelle d’un Russe du Sud, écrite en français et publiée par Havelock Ellis en 1913. Particulièrement « babylonien » selon Nabokov, ce récit fait état de grande accessibilité des femmes, de morale sexuelle permissive (« l’opinion n’était pas sévère pour les faiblesses charnelles »), d’absence de freins, en ville et à la campagne12. En conclusion, peu de faits nous incitent à croire à l’intransigeance du clergé envers le péché de la chair, et à la chasteté innée des Russes, surtout si l’on verse au dossier les rites orgiaques de certains vieuxcroyants, gardiens de la « russité authentique ». Un colloque a été organisé à Lausanne, en 1989, consacré à l’érotisme dans la littérature russe du XXe siècle13. Le « puritanisme russe » y a été mis à mal. Nous avons conjecturé l’existence d’écrits censurés qui sont restés inconnus ; à titre d’exemple, les travaux du colloque incluaient un échantillon de textes érotiques inédits de Daniil Harms, crus et cruels. Les conjectures se sont vérifiées. Les productions secrètes des écrivains filtrent lentement14, et dans la diffusion de ces textes, Internet joue le rôle du canal officieux ou clandestin d’antan. * L’érotisme est donc bien présent dans la culture et la littérature russes. Se trouverait-il dans l’utopie et dans la SF ? Afin de répondre à cette vaste question, je propose de parcourir rapidement et dans un ordre vaguement chronologique quelques moments essentiels de l’évolution de ces genres en Russie. La plupart des utopies des XVIIIe-XIXe siècles insistent sur les vertus de la famille tout en rappelant les profits et les plaisirs que l’on peut tirer de l’ordre domestique ainsi que de la vie sexuelle régulière. Tel est le propos du Voyage au pays d’Ophir de Mikhaïl Chtcherbatov (Putešestvie v zemlju ofirskuju, 1775); du Voyage inédit (Novejšee putešestvie 1784) de Vassili Liovchine; du Voyage au XXIXe siècle de Thaddée Boulgarine (Stranstvovanie po svetu v 29 veke, 1829); de La Calèche de Vladimir Sollogoub (Koljaska, 1845)15. Une exception : le prosateur romantique Vladimir Odoïevski est le seul à pressentir, dans L’Année 4338 (4388-j god, 1840), qu’au moment où l’homme quittera la surface de la Terre pour se lancer dans l’espace, il lui faudra transformer, en même temps que d’autres institutions, celle de la famille16. Le maître à penser des années 1840, Vissarion Belinski, inspiré par Fourier, est le premier à penser l’avenir sous forme d’utopie de l’amour libre : Le temps viendra où il n’y aura plus de devoirs et d’obligations, où la volonté (de l’homme) se soumettra non plus à la volonté, mais à l’amour ; il n’y aura plus de maris et de femmes, mais des amants et des amantes, et lorsqu’une amante dira à son amant qu’elle en aime un autre, il répondra : « je ne puis être heureux sans toi, je souffrirai toute ma vie, mais va vers celui que tu aimes17 » L’association que fait Belinski de trois revendications différentes – l’émancipation de la femme, l’amour libre (c’est ainsi qu’on nommait à l’époque la liberté de choisir ses partenaires) et le socialisme – est érigée en dogme par les radicaux, depuis les populistes jusqu’aux marxistes. Le roman « nihiliste » le plus célèbre, Que faire ? (1863) de Nikolaï Tchernychevski18 déploie devant le lecteur une histoire de l’humanité en faisant sienne la formule de Fourier selon laquelle l’évolution d’une société se mesure à la place qu’y occupe la femme ; l’ère qui verra naître la Femme Libre apparaîtra à l’héroïne dans un rêve, un récit dans le récit, une anticipation socialiste. Les gens vivent dans des sortes de phalanstères, travaillent ensemble dans la joie, s’aiment librement. À noter : si l’héroïne vit en relation avec deux hommes, le roman est teinté d’un certain érotisme homosexuel tandis que Raxmetov, l’« Homme Nouveau » idéal, est un ascète qui renonce à la sexualité au nom de la Grande Cause. * Deux philosophes qui, sans avoir...




