E-Book, Französisch, 151 Seiten
Audoux Marie-Claire
1. Auflage 2020
ISBN: 978-2-322-18887-1
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Prix Fémina 1910
E-Book, Französisch, 151 Seiten
ISBN: 978-2-322-18887-1
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Roman autobiographique, prix Fémina 1910. À la mort de sa mère, la petite Marie-Claire, âgée de cinq ans, est placée à l'Assistance publique, séparée brutalement de sa soeur et d'un père alcoolique. Monde clos, cet orphelinat est dirigé par d'austères religieuses. Marie-Claire se réfugie souvent dans le giron de soeur Marie-Aimée, l'institutrice à la voix chaleureuse. Pour sa protégée, cette dernière rêve d'un beau destin et dès que Marie-Claire a fait sa première communion, elle lui propose d'entrer comme demoiselle de magasin chez Mlle Maximilienne, la soeur du curé. La mère supérieure, par jalousie, en décide autrement: «Vous serez bergère, mademoiselle.» Elle se retrouve donc à la ferme de Villevieille en Sologne, et fait l'apprentissage de son nouveau métier, aidée par la vieille Bibiche et le vacher. Grâce à la compassion des fermiers Sylvain et Pauline, aux beautés de la nature et à la découverte de Télémaque au fin fond du grenier, Marie-Claire retrouve une forme de sérénité jusqu'à une nouvelle rupture: la mort de Sylvain amène à la ferme de nouveaux propriétaires. Devenue servante de Mme Alphonse, femme maniaque et froide, Marie-Claire retombe dans un désarroi absolu...
Marguerite Audoux, née Marguerite Donquichote est une romancière française, née le 7 juillet 1863 à Sancoins (Cher) et morte le 31 janvier 1937 à Saint-Raphaël (Var). Elle est connue pour son roman Marie-Claire, qui reçoit le prix Fémina en 1910 et qui donne son nom au magazine féminin Marie Claire créé en 1937.
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DEUXIÈME PARTIE
Je me trouvai bientôt installée au milieu de paniers vides dans une voiture couverte d’une bâche, et quand le cheval s’arrêta de lui-même dans la cour de la ferme, il y avait déjà longtemps qu’il faisait nuit. Le fermier sortit de la maison avec une lanterne qu’il balançait au bout de son bras et qui n’éclairait que ses sabots ; il s’approcha de nous et m’aida à descendre de la voiture, puis il haussa sa lanterne jusqu’à ma figure et il dit en se reculant : – Quelle drôle de petite servante ! La fermière me conduisit dans une chambre où il y avait deux lits. Elle me montra le mien et me dit que le lendemain je resterais seule avec le vacher, parce que tout le monde irait à la fête de la Saint-Jean. Dès que je fus levée, le lendemain, le vacher m’emmena dans les étables, pour l’aider à donner le fourrage aux bêtes ; il me montra la bergerie et m’apprit que je serais bergère d’agneaux à la place de la vieille Bibiche. Il m’expliqua que chaque année on séparait les agneaux d’avec leur mère et qu’il fallait une deuxième bergère pour les garder. Il m’apprit aussi que la ferme s’appelait Villevieille, et que personne n’était malheureux ici parce que maître Sylvain et Pauline sa femme étaient de braves gens. Quand toutes les bêtes furent soignées, le vacher me fit asseoir près de lui dans l’allée des Châtaigniers. De là on voyait le tournant du chemin qui montait vers la route et tout l’intérieur de la ferme. Les bâtiments formaient un carré, et l’énorme fumier qui était au milieu dégageait une odeur chaude qui dominait l’odeur des foins à moitié séchés. Un grand silence s’étendait autour de la ferme, et de tous côtés on ne voyait que des sapins et des champs de blé. Il me semblait que je venais d’être transportée dans un pays perdu, et que je resterais toujours seule avec le vacher et les bêtes que j’entendais remuer dans les étables. Il faisait très chaud, j’étais comme engourdie par une lourde envie de dormir ; mais la peur de tout ce qui m’entourait m’empêchait de céder au sommeil. Des mouches de toutes couleurs tournaient autour de moi en ronflant. Le vacher tressait une corbeille de jonc, et les chiens dormaient tranquillement. Au coucher du soleil, la voiture qui ramenait les fermiers parut au détour du chemin. Il y avait cinq personnes dans la voiture, deux hommes et trois femmes. En passant devant moi la fermière me sourit et les autres se penchèrent pour me voir. Peu après la ferme s’emplit de bruit, et comme il était trop tard pour faire la soupe, tout le monde dîna d’un morceau de pain et d’un bol de lait. Dès le lendemain, la fermière me remit un manteau de grosse toile, et je suivis la vieille Bibiche pour apprendre à garder les agneaux. La vieille Bibiche et sa chienne Castille avaient une si grande ressemblance que je pensais toujours qu’elles étaient de la même famille. Elles paraissaient du même âge, et leurs yeux troubles étaient de la même couleur. Quand les agneaux s’écartaient du chemin, Bibiche disait : « Jappe, Castille, jappe. » Elle répétait cela très vite, comme un seul mot, et même quand Castille ne jappait pas, les agneaux se rangeaient, tant la voix de la vieille ressemblait à celle de sa chienne. Lorsqu’on commença la moisson, il me sembla que j’assistais à une chose pleine de mystère. Des hommes s’approchaient du blé et le couchaient par terre à grands coups réguliers pendant que d’autres le relevaient en gerbes qui s’appuyaient les unes contre les autres… Les cris des moissonneurs semblaient parfois venir d’en haut, et je ne pouvais m’empêcher de lever la tête pour voir passer les chars de blé dans les airs. Le repas du soir réunissait tout le monde. Chacun se plaçait à sa guise le long de la table, et la fermière remplissait les assiettes jusqu’au bord. Les jeunes mordaient à pleines dents dans leur pain, tandis que les vieux coupaient précieusement chaque bouchée. Tous mangeaient en silence, et le pain bis paraissait plus blanc dans leurs mains noires. À la fin du repas, les plus âgés parlaient des récoltes avec le fermier, pendant que les jeunes causaient et riaient avec Martine la grande bergère. C’était elle qui donnait le pain et versait le vin. Elle répondait en riant à toutes les plaisanteries, mais quand un garçon avançait la main vers elle, elle s’effaçait vivement et ne se laissait jamais saisir. Personne ne faisait attention à moi ; je m’asseyais sur des bûches un peu à l’écart, et je regardais les visages. Maître Sylvain avait de grands yeux noirs qui s’arrêtaient tranquillement sur chacun ; il parlait sans élever la voix, en appuyant ses mains ouvertes sur la table. La fermière avait un visage sérieux et préoccupé ; on eût dit qu’elle redoutait toujours un malheur, et c’est à peine si elle souriait quand les autres riaient aux éclats. La vieille Bibiche croyait toujours que je m’endormais. Elle venait me tirer par la manche pour m’emmener coucher. Son lit était à côté du mien ; elle chuchotait sa prière en se déshabillant, et elle soufflait la lampe sans s’occuper de moi. Aussitôt après la moisson, elle me laissa aller seule au champ avec sa chienne. Castille s’ennuyait avec moi, elle me quittait à chaque instant pour retourner à la ferme près de sa vieille maîtresse. J’avais beaucoup de peine à rassembler mes agneaux, qui couraient de tous côtés. Je me comparais à sœur Marie-Aimée quand elle disait que son petit troupeau était difficile à gouverner ; et cependant elle nous rassemblait d’un coup de cloche, ou elle obtenait le silence en grossissant un peu la voix ; mais moi, j’avais beau grossir ma voix ou faire claquer mon fouet, les agneaux ne comprenaient pas, et j’étais obligée de courir comme un chien autour du troupeau. Un soir, il se trouva qu’il m’en manquait deux. Chaque soir, je me mettais en travers de la porte pour n’en laisser entrer qu’un à la fois ; ainsi je les comptais facilement. J’entrai dans la bergerie et j’essayai de les compter encore ; ce n’était pas facile et je dus y renoncer, car j’en trouvais toujours plus qu’il n’en fallait. Je me persuadai que j’avais mal compté la première fois, et je n’en dis rien à personne. Le lendemain, je les comptai en les faisant sortir de la bergerie : il en manquait bien deux. J’étais très inquiète ; toute la journée, je les cherchai dans les champs, et le soir, après m’être assurée qu’ils manquaient toujours, j’en avertis la fermière. On fit des recherches pendant plusieurs jours, mais les agneaux restèrent introuvables. Alors les fermiers me prirent à part l’un après l’autre. Ils voulaient me faire avouer que des hommes étaient venus prendre les agneaux, et ils m’assuraient que je ne serais pas grondée si je disais la vérité. J’avais beau affirmer que je ne savais pas ce qu’ils étaient devenus, je voyais bien qu’on ne me croyait pas. Maintenant, j’avais peur dans les champs, depuis que je savais que des hommes pouvaient se cacher pour prendre les moutons ; je croyais toujours voir remuer quelqu’un derrière les buissons. J’appris très vite à les compter des yeux ; et qu’ils fussent dispersés ou rapprochés les uns des autres, en une minute je savais si le compte y était. L’automne arriva et je m’ennuyais davantage. Je regrettais les caresses de sœur Marie-Aimée. J’avais une si grande envie de la voir qu’il m’arrivait de fermer les yeux en imaginant qu’elle venait dans le sentier ; j’entendais réellement ses pas et le bruissement de sa robe sur l’herbe ; lorsque je la sentais tout près de moi, j’ouvrais les yeux et aussitôt tout s’effaçait. Pendant longtemps j’eus l’idée de lui écrire, mais je n’osais pas demander ce qu’il fallait pour cela. La fermière ne savait pas écrire, et personne ne recevait de lettre à la ferme. Je m’enhardis jusqu’à demander à maître Sylvain s’il voulait bien m’emmener un jour à la ville. Il ne répondit pas tout de suite ; il fixa sur moi ses grands yeux tranquilles, et il dit qu’une bergère ne devait jamais quitter son troupeau. Il voulait bien me conduire de temps en temps à la messe du village, mais il ne fallait pas compter qu’il m’emmènerait à la ville. J’en restai tout étourdie. C’était comme si j’avais appris un grand malheur ; et chaque fois que j’y pensais, je voyais sœur Marie-Aimée comme une chose très précieuse que le fermier aurait brisée par mégarde. Le samedi d’après, je vis partir les fermiers dès le matin comme d’habitude ; mais, au lieu de rester jusqu’au soir, ils étaient de retour dans l’après-midi avec un marchand qui venait acheter une partie des agneaux. Je n’avais jamais pensé qu’on pût aller à la ville en si peu de temps ; l’idée me vint de laisser un jour mes moutons dans le pré pour courir embrasser sœur Marie-Aimée. Je trouvai bientôt que cela n’était pas possible, et je décidai de m’en aller pendant la nuit. J’espérais que je ne mettrais pas beaucoup plus de temps que le cheval du fermier, et qu’en partant au milieu de la nuit je pourrais être de retour pour mener les agneaux aux champs. Je me couchai tout habillée ce soir-là,...