E-Book, Französisch, 471 Seiten
Malot Clotilde Martory
1. Auflage 2019
ISBN: 978-2-322-01223-7
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
E-Book, Französisch, 471 Seiten
ISBN: 978-2-322-01223-7
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Extrait: Si comme toi, cher ami, j'avais le culte de la science ; si comme toi je m'étais juré de mener à bonne fin la triangulation de l'Algérie ; si comme toi j'avais parcouru pendant plusieurs années l'Atlas dans l'espérance d'apercevoir les montagnes de l'Espagne, afin de reprendre et d'achever ainsi les travaux de Biot et d'Arago sur la mesure du méridien, sans doute je serais désolé d'abandonner l'Afrique. Quand on a un pareil but il n'y a plus de solitude, plus de déserts, on marche porté par son idée et perdu en elle. Qu'importe que les villages qu'on traverse soient habités par des guenons ou par des nymphes, ce n'est ni des nymphes ni des guenons qu'on a souci. Est-ce que dans notre expédition de Sidi-Brahim tu avais d'autre préoccupation que de savoir si l'atmosphère serait assez pure pour te permettre de reconnaître la sierra de Grenade ? Et cependant je crois que nous n'avons jamais été en plus sérieux danger. Mais tu ne pensais ni au danger, ni à la faim, ni à la soif, ni au chaud ; et quand nous nous demandions avec une certaine inquiétude si nous reverrions jamais Oran, tu te demandais, toi, si la brume se dissiperait.
Homme droit, fidèle en amitié, prompt à défendre la cause des opprimés, Hector Malot fut surnommé « Malot-la-Probité » par la journaliste Séverine. Il fut l'ami de Jules Vallès qu'il soutint dans son exil londonien, lui apportant aide financière et réconfort moral. C'est grâce à lui que le manuscrit Jacques Vingtras, qui devint L'Enfant, fut publié. Soucieux de jouer un rôle dans le siècle, il milita, par le biais de l'écriture romanesque, pour une révision de la loi sur l'internement en hôpital psychiatrique, pour le rétablissement du divorce - supprimé le 8 mai 1816, au début de la Restauration, par la loi Bonald - pour une reconnaissance des droits de l'enfant naturel, pour une amélioration des conditions de travail, en particulier celles des enfants. Républicain modéré, il se montra défenseur des libertés.Hector Malot est à la tête d'une oeuvre importante : une soixantaine de romans. Les plus connus aujourd'hui sont ses romans pour enfants : Romain Kalbris, Sans Famille, En Famille. Un autre roman pour enfants est paru à titre posthume, intitulé : Le Mousse.
Autoren/Hrsg.
Weitere Infos & Material
II
En me donnant Marseille pour lieu de garnison, le hasard m’a envoyé en pays ami, et nulle part assurément je n’aurais pu trouver des relations plus faciles et plus agréables. Mon père, en effet, a été préfet des Bouches-du-Rhône pendant les dernières années de la Restauration, et il a laissé à Marseille, comme dans le département, des souvenirs et des amitiés qui sont toujours vivaces. Pendant les premiers jours de mon arrivée, chaque fois que j’avais à me présenter ou à donner mon nom, on m’arrêtait par cette interrogation : – Est-ce que vous êtes de la famille du comte de Saint-Nérée qui a été notre préfet ? Et quand je répondais que j’étais le fils de ce comte de Saint-Nérée, les mains se tendaient pour serrer la mienne. – Quel galant homme ! – Et bon, et charmant. – Quel homme de cœur ! Un véritable concert de louanges dans lequel tout le monde faisait sa partie, les grands et les petits. Il est assez probable que mon père ne me laissera pas autre chose que cette réputation, car s’il a toujours été l’homme aimable et loyal que chacun prend plaisir à se rappeler, il ne s’est jamais montré, par contre, bien soigneux de ses propres affaires, mais j’aime mieux cette réputation et ce nom honoré pour héritage que la plus belle fortune. Il y a vraiment plaisir à être le fils d’un honnête homme, et je crois que dans les jours d’épreuves, ce doit être une grande force qui soutient et préserve. En attendant que ces jours arrivent, si toutefois la mauvaise chance veut qu’ils arrivent pour moi, le nom de mon père m’a ouvert les maisons les plus agréables de Marseille et m’a fait retrouver enfin ces relations et ces plaisirs du monde dont j’ai été privé pendant six ans. Depuis que je suis ici, chaque jour est pour moi un jour de fête, et je connais déjà presque toutes les villas du Prado, des Aygalades, de la Rose. Pendant la belle saison, les riches commerçants n’habitent pas Marseille, ils viennent seulement en ville au milieu de la journée pour leurs affaires ; et leurs matinées et leurs soirées ils les passent à la campagne avec leur famille. Celui qui ne connaîtrait de Marseille que Marseille, n’aurait qu’une idée bien incomplète des mœurs marseillaises. C’est dans les riches châteaux, les villas, les bastides de la banlieue qu’il faut voir le négociant et l’industriel ; c’est dans le cabanon qu’il faut voir le boutiquier et l’ouvrier. J’ai visité peu de cabanons, mais j’ai été reçu dans les châteaux et les villas et véritablement j’ai été plus d’une fois ébloui du luxe de leur organisation. Ce luxe, il faut le dire, n’est pas toujours de très bon goût, mais le goût et l’harmonie n’est pas ce qu’on recherche. On veut parler aux yeux avant tout et parler fort. N’a de valeur que ce qui coûte cher. Volontiers on prend l’étranger par le bras, et avec une apparente bonhomie, d’un air qui veut être simple, on le conduit devant un mur quelconque : – Voilà un mur qui n’a l’air de rien et cependant il m’a coûté 14 000 francs ; je n’ai économisé sur rien. C’est comme pour ma villa, je n’ai employé que les meilleurs ouvriers, je les payais 10 francs par jour ; rien qu’en ciment ils m’ont dépensé 42 000 francs. Aussi tout a été soigné et autant que possible amené à la perfection. Ce parquet est en bois que j’ai fait venir par mes navires de Guatemala, de la côte d’Afrique et des Indes ; leur réunion produit une chose unique en son genre ; tandis que le salon de mon voisin Salary chez qui vous dîniez la semaine dernière lui coûte 2 ou 3000 francs parce qu’il est en simple parqueterie de Suisse, le mien m’en coûte plus de 20 000. Mais ce n’est pas pour te parler de l’ostentation marseillaise que je t’écris ; il y aurait vraiment cruauté à détailler le luxe et le confort de ces châteaux à un pauvre garçon comme toi vivant dans le désert et couchant souvent sur la terre nue ; c’est pour te parler de moi et d’un fait qui pourrait bien avoir une influence décisive sur ma vie. Hier j’étais invité à la soirée donnée à l’occasion d’un mariage, le mariage de mademoiselle Bédarrides, la fille du riche armateur, avec le fils du maire de la ville. Bien que la villa Bédarrides soit une des plus belles et des plus somptueuses (c’est elle qui montre orgueilleusement ses 42 000 francs de ciment et son parquet de 20 000), on avait élevé dans le jardin une vaste tente sous laquelle on devait danser. Cette construction avait été commandée par le nombre des invités qui était considérable. Il se composait d’abord de tout ce qui a un nom dans le commerce marseillais, l’industrie et les affaires, c’était là le côté de la jeune femme et de sa famille, puis ensuite il comprenait ainsi tout ce qui est en relations avec la municipalité – côté du mari. En réalité, c’était le tout-Marseille beaucoup plus complet que ce qu’on est convenu d’appeler le tout-Paris dans les journaux. Il y avait là des banquiers, des armateurs, des négociants, des hauts fonctionnaires, des Italiens, des Espagnols, des Grecs, des Turcs, des Égyptiens mêlés à de petits employés et à des boutiquiers, dans une confusion curieuse. Retenu par le général qui avait voulu que je vinsse avec lui, je n’arrivai que très tard. Le bal était dans tout son éclat, et le coup d’œil était splendide : la tente était ornée de fleurs et d’arbustes au feuillage tropical et elle ouvrait ses bas côtés sur la mer qu’on apercevait dans le lointain miroitant sous la lumière argentée de la lune. C’était féerique avec quelque chose d’oriental qui parlait à l’imagination. Mais je fus bien vite ramené à la réalité par l’oncle de la mariée, M. Bédarrides jeune, qui voulut bien me faire l’honneur de me prendre par le bras, pour me promener avec lui. – Regardez, regardez, me dit-il, vous avez devant vous toute la fortune de Marseille, et si nous étions encore au temps où les corsaires barbaresques faisaient des descentes sur nos côtes, ils pourraient opérer ici une razzia générale qui leur payerait facilement un milliard pour se racheter. Je parvins à me soustraire à ces plaisanteries financières et j’allai me mettre dans un coin pour regarder la fête à mon gré, sans avoir à subir des réflexions plus ou moins spirituelles. Qui sait ? Parmi ces femmes qui passaient devant mes yeux se trouvait peut-être celle que je devais aimer. Laquelle ? Cette idée avait à peine effleuré mon esprit, quand j’aperçus, à quelques pas devant moi, une jeune fille d’une beauté saisissante. Près d’elle était une femme de quarante ans, à la physionomie et à la toilette vulgaires. Ma première pensée fut que c’était sa mère. Mais à les bien regarder toutes deux, cette supposition devenait improbable tant les contrastes entre elles étaient prononcés. La jeune fille, avec ses cheveux noirs, son teint mat, ses yeux profonds et veloutés, ses épaules tombantes, était la distinction même ; la vieille femme, petite, replète et couperosée, n’était rien qu’une vieille femme ; la toilette de la jeune fille était charmante de simplicité et de bon goût ; celle de son chaperon était ridicule dans le prétentieux et le cherché. Je restai assez longtemps à la contempler, perdu dans une admiration émue ; puis, je m’approchai d’elle pour l’inviter. Mais forcé de faire un détour, je fus prévenu par un grand jeune homme lourdaud et timide, gêné dans son habit (un commis de magasin assurément), qui l’emmena à l’autre bout de la chambre. Je la suivis et la regardai danser. Si elle était charmante au repos, dansant elle était plus charmante encore. Sa taille ronde avait une souplesse d’une grâce féline ; elle eût marché sur les eaux tant sa démarche était légère. Quelle était cette jeune fille ? Par malheur, je n’avais près de moi personne qu’il me fût possible d’interroger. Lorsqu’elle revint à sa place, je me hâtai de m’approcher et je l’invitai pour une valse, qu’elle m’accorda avec le plus délicieux sourire que j’aie jamais vu. Malheureusement, la valse est peu favorable à la conversation ; et d’ailleurs, lorsque je la tins contre moi, respirant son haleine, plongeant dans ses yeux, je ne pensai pas à parler et me laissai emporter par l’ivresse de la danse. Lorsque je la quittai après l’avoir ramenée, tout ce que je savais d’elle, c’était qu’elle n’était point de Marseille, et qu’elle avait été amenée à cette soirée par une cousine, chez laquelle elle était venue passer quelques jours. Ce n’était point assez pour ma curiosité impatiente. Je voulus savoir qui elle était, comment elle se nommait, quelle était sa famille ; et je me mis à la recherche de Marius Bédarrides, le frère de la mariée, pour qu’il me renseignât ; puisque cette jeune fille était invitée chez lui, il devait la connaître. Mais Marius Bédarrides, peu sensible au plaisir de la danse, était au jeu. Il me fallut le trouver ; il me fallut ensuite le détacher de sa partie, ce qui fut long et difficile, car il avait la veine, et nous revînmes dans la tente juste au moment où la jeune fille sortait. – Je ne la connais pas, me dit Bédarrides, mais la dame qu’elle accompagne est, il me semble, la femme d’un employé de la mairie. C’est une invitation de mon beau-frère. Par lui nous en saurons plus demain ; mais il vous faut attendre jusqu’à demain, car nous ne pouvons pas décemment, ce soir,...