E-Book, Französisch, 184 Seiten
Théron Peur de son ombre...
1. Auflage 2017
ISBN: 978-2-322-12487-9
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
La Lumière est en nous
E-Book, Französisch, 184 Seiten
ISBN: 978-2-322-12487-9
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Ce livre refuse l'idée d'une Puissance extérieure et antérieure à nous, que nous projetons et imaginons pour justifier nos craintes et nos espoirs. D'où son titre: "Peur de son ombre..." En réalité cette puissance est en nous-mêmes, si nous savons bien l'y chercher. D'où son sous-titre : "La Lumière est en nous". A côté de cela, l'ouvrage peut aussi permettre à chacun de parfaire sa culture religieuse, qui est malgré l'oubli actuel une partie essentielle de la culture générale.
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Peurs
Voici une anecdote qui m’est arrivée tout récemment. Je me suis rendu sur l’invitation d’un voisin de quartier, catholique avec lequel j’ai de fréquentes discussions, à une conférence-débat sur la laïcité proposée près de chez moi, à la salle municipale de *, notre petite ville languedocienne, par un jeune prêtre nouvellement nommé ici, d’après ce que j’ai entendu dire. J’y ai vu pérorer depuis l’estrade un homme fort de ses certitudes et de son col romain, et j’ai entendu un tissu de contrevérités et d’inepties, du genre : la laïcité actuelle implique l’athéisme, et empêche les croyants de manifester publiquement leur foi, de peur de passer aux yeux des laïcs pour des « crétins superstitieux ». Il y aurait quatre-vingt pour cents de croyants en France, et ils seraient obligés de raser les murs, opprimés par une laïcité agressive, visage caché de la mécréance, etc. La déchristianisation générale elle-même, que je pense comme bien d’autres être une évidente caractéristique de nos sociétés, a été allègrement passée sous silence. Bref, un tas de sottises, à mon avis très dangereuses, puisque marquant un propos délibéré de récupérer, sur les âmes et les esprits (et pourquoi pas sur les personnes mêmes) un pouvoir dont la nostalgie était évidente. Mais le comble a été l’intervention d’un assistant, qui s’adressant à l’orateur avec beaucoup de révérence a dit qu’il fallait bien contester la laïcité parce que les protestants, minoritaires en France, s’en servaient pour s’en protéger, comme d’un bouclier. Visiblement il était nostalgique d’une nouvelle Saint-Barthélemy ! Alors je suis intervenu, ai dit que ce propos était ignoble, que tout en étant moi-même de formation catholique je me devais de défendre mes amis protestants, et que je n’avais plus rien à faire dans l’assemblée où je me trouvais. Je me suis levé pour partir, et j’allais effectivement le faire quand une rumeur autour de moi, non pas de désapprobation, mais de curiosité bienveillante, m’en a empêché. Je me suis alors rassis, en disant que je restais uniquement par amitié pour le Père *, curé plus ancien en ce lieu, qui se trouvait près de moi. Il me semble que cette réaction lui a fait plaisir. Dix minutes plus tard, la séance était levée. J’ai fendu les rangs, et ai senti autour de moi non pas de l’hostilité, mais cette même curiosité avenante dont je vous ai parlé. J’ai regagné ma maison en compagnie d’une assistante à la conférence, qui m’a félicité d’être intervenu, et qui a paru soulagée que je l’aie fait. Elle m’a dit que les prêches de ce jeune curé lui laissaient une fâcheuse impression de manipulation, et même, selon ses propres termes, de manipulation politique. C’est une dame d’un certain âge. Mais quid des jeunes ? J’ai eu l’impression d’une assemblée corsetée par les peurs, et qui n’osait rien dire. Mon voisin lui-même, qui m’a téléphoné le lendemain, m’a dit avoir été « sonné ». Mais personne n’a élevé la voix, sinon moi qui ai explosé. C’est une expérience assez terrifiante. Bien évidemment l’oecuménisme en a pris un coup. Mais surtout pourquoi personne n’est-il intervenu ? Question bien préoccupante… Y repensant maintenant, je me félicite d’être intervenu moi-même. Il ne faut pas sans doute trop jeter la pierre aux gens silencieux, qu’une réunion publique peut effrayer, et qui n’ont peut-être pas la facilité de prendre la parole comme j’ai l’habitude de le faire, ne serait-ce que professionnellement. Cependant je pense ici à Knock, de Jules Romains, où un médecin assoit tout son pouvoir sur une communauté entière à partir des peurs qu’il parvient à lui inspirer. C’est une allégorie exemplaire d’un pouvoir totalitaire assis sur des peurs. Tous les habitants du canton sur lequel ce calculateur et machiavélique Knock a décidé de régner se mettent au lit, une fois qu’il les a persuadés que tout bien portant est un malade qui s’ignore, et que la santé est un état précaire qui ne présage rien de bon. Cette tactique est radicalement efficace, car chacun a un côté hypochondriaque. Tant on peut avoir de l’ascendant sur les esprits et les âmes, en cultivant leurs peurs ! Que d’institutions, de dirigeants, surfent ainsi sur les angoisses des hommes, et les détournent à leur profit, pour conforter leur domination ! Les Anciens disaient bien que c’est la crainte qui au début a fait les dieux dans le monde : Primus in orbe timor fecit deos. On pourrait dire de ce point de vue que la divinité mandante a passé ensuite le relais à ses mandataires, et que la peur s’est transférée des premiers aux seconds. Dès lors c’est la peur qui a fait les prêtres : Secundus in orbe timor fecit sacerdotes. Mais c’est bien de nous-mêmes, de nos appréhensions et de nos alarmes, qu’ils tirent leur pouvoir : Nos prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense / Notre crédulité fait toute leur science… Ne m’accusez pas ici de superficialité, de voltairianisme. Ce phénomène est universel. L’autorité en général est essentiellement affaire de projection mentale. Voyez par exemple les expériences de Stanley Milgram consignées dans son livre Soumission à l’autorité, et l’utilisation que Verneuil en a faite dans son film I comme Icare (1979). Tous les psychologues vous le diront : la projection que nous faisons d’abord et spontanément (du moins le pensons-nous) sur les êtres et les choses n’a rien à voir avec la perception lucide et mûrie que nous pouvons ensuite en avoir. Elle est induite en nous par l’éducation, le dressage que nous avons subi étant enfants, la force de l’habitude ensuite. Très vite, dans le cas où la projection se nourrit de peurs, une fois le conditionnement initial intériorisé, la menace n’a plus du tout besoin d’être explicite. – Le danger en fait n’est pas dans ce phénomène lui-même, qui est inévitable au moins au début de toute vie, mais dans son utilisation ou sa manipulation par ceux qui s’en emparent et s’en parent, pour maintenir toute leur vie durant leurs assujettis dans l’infantilisation. Pour pasticher Racine : Dans une longue enfance ils les feront vieillir… Pensez par exemple au chantage aux sacrements que font certains prêtres. Tel divorcé remarié, que ne ferait-il pas pour ne pas être exclu de sa communauté, à quel reniement n’est-il pas prêt ! Vous en connaissez vous-même peut-être des exemples. Quel dommage alors de voir un homme d’âge mûr se comporter encore comme un petit enfant ! Tant que les peurs primitives subsisteront dans l’adulte, il restera tout petit, mais évidemment et par voie de conséquence le pouvoir qui l’aliène en sortira grandi : la victoire du second vient de la défaite du premier. Vous savez que l’on peut chérir son esclavage : La Boétie l’a bien montré dans son Discours de la servitude volontaire. Voyez aussi Le paysan du Danube, de La Fontaine : « Rome est par nos forfaits, plus que par ses exploits / L’instrument de notre supplice… » L’esclave, hélas ! peut aimer la main qui le frappe. C’est immémorial, toute l’histoire des hommes l’atteste : « Et le peuple amoureux du fouet abrutissant », dit Baudelaire dans Le Voyage. Pourquoi cela ? Soit parce que de cette main on attend gratification, car nous supposons qu’elle peut nous nourrir, comme dans Le Loup et le Chien de La Fontaine, ou bien tout simplement parce qu’on la craint : mais en fait on craint moins ce qu’elle peut réellement nous faire que ce que nous imaginons qu’elle peut nous faire. Il suffit de lire Le Château de Kafka : le Château n’est arrogant et menaçant que lorsque K. en a peur. Si au contraire ce dernier se rebiffe, relève la tête, alors le Château, le pouvoir ou l’emprise de ses fonctionnaires sur K., tout cela recule. Par nos peurs, nos projections accumulées, nous construisons...