E-Book, Französisch, 308 Seiten
Arnaud UN BALCON EN RETRAITE
1. Auflage 2021
ISBN: 978-2-322-23103-4
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
E-Book, Französisch, 308 Seiten
ISBN: 978-2-322-23103-4
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Alors que Léon vient de prendre sa retraite, dans les années 1980, son épouse Léa décède. Il quitte brusquement le Nord où il menait une vie paisible pour se rapprocher de sa fille Jeanne dans le Sud. Installé près de Toulon, il découvre alors la solitude du retraité, l'oisiveté et l'inutilité de son existence. Il est balloté entre rêves et cauchemars. Dans son nouvel environnement, des rencontres distraient peu à peu ses journées. Depuis le balcon de sa résidence surplombant un domaine agricole, il observe malgré lui des faits étranges dont il veut percer le mystère. Sa curiosité n'est pas aussi indolore qu'il l'imaginait. Des événements inattendus mettent à l'épreuve son quotidien et sa quête obstinée de reconnaissance. Léon cherche à comprendre le monde qui l'entoure et quelle est sa place dans ce concert humain.
ALAIN ARNAUD vit à Hyères-Les-Palmiers, dans le Var. Après diverses activités professionnelles, notamment ingénieur en aéronautique, diplomate en ambassades de France et enseignant, il revient à la littérature en 2018. "UN BALCON EN RETRAITE" est son quatrième roman.
Autoren/Hrsg.
Weitere Infos & Material
Le lendemain, un calme exaspérant stagne d’un bout à l’autre du domaine agricole entre les ombres nettes et d’autres défaillantes, aux battements à peine perceptibles. Sur le bassin, des touffes d’écume dérivent lentement : les restes d’une lessive matinale. Les canards veillent d’un œil mauvais. Les poules, encore hésitantes, se partagent l’ombre rare du noyer comme un bivouac précaire. Dans le lointain, le ciel est taché par endroits de nuages légers à la dérive semblables à des dunes de poussière qui se disloquent. Léon se tient songeur sur son mirador, l’œil à l’affût. Son intérêt va et vient de la houle légère du noyer à l’horizon frémissant sur la mer. Il se laisse absorber par les évolutions gracieuses des hirondelles à la poursuite d’insectes et leur insouciante voltige. Puis son regard s’appesantit sur les tours d’angle de la forteresse blanche et leurs créneaux érodés. Il imagine un accès intérieur par des escaliers discrets, soupçonne l’existence de galeries souterraines qui resurgiraient loin des remparts. Accoudé à son balcon, il rêve d’évasion cependant que le paysan se penche sur les points de braise apparus près du verger : des fraises arrivées à maturité. En journée, Léon rencontre une nouvelle fois la voisine. Réveillée pendant la nuit par des bruits étranges et l’aboiement désespéré de l’épagneul, elle avait vu l’incendie. Lorsqu’elle avait ouvert sa fenêtre, un immense brasier découpait déjà les ténèbres et des bouffées de chaleur venaient lécher les balcons pendant que des flammes longues et coupantes dévoraient le hangar avec voracité. Premier sur les lieux, le fermier avait réussi à sauver son tracteur. Il luttait avec des seaux d’eau que sa femme puisait sans relâche dans le bassin. Monsieur Duprat et quelques autres voisins étaient allés lui prêter main forte avec les moyens du bord mais les flammes ne pliaient pas. Elles faisaient un festin du tas de bois sec et croustillant. Lorsque les sapeurs-pompiers sont arrivés, il ne restait plus qu’un monticule de braises à faire taire. Une chaleur étouffante et grasse était restée longtemps agglutinée à la façade des Aristoloches et tout l’immeuble transpirait, les fenêtres ouvertes sur l’événement. Les lances à incendie continuèrent très tard à traquer les dernières incandescences. On entendait des voix de plus en plus espacées. Avec la fumée et les cendres qui flottaient alentour, l’obscurité s’était encore épaissie. Les causes de l’incendie ? La voisine s’assure de gauche et de droite que personne n’écoute et susurre rien que pour lui : « On ne sait pas encore. Mon mari dit que c’est impossible que le feu ait pris tout seul. Il pense à un acte de malveillance. En tous les cas, ces braves gens ne méritaient pas ça. Ils sont déjà suffisamment accablés par le mauvais sort. » Elle se frotte le menton puis son visage se referme comme une source soudain tarie. Léon remarque ses ongles rongés, retranchés dans les chairs. Lorsqu’ils se quittent, sa curiosité n’est toujours pas apaisée. Il regrette de n’avoir pas su gagner davantage sa confiance. Malgré la diversion de l’incendie, le soupçon malicieux venu du Nord le fait encore souffrir : une épine impossible à extraire, une blessure qui mine ses pensées et continue de suppurer. Léon se tourne davantage vers le balcon, devenu son poste de guet en plein air. À force d’épanchements, il s’est peu à peu épris des fermiers, un couple sympathique et courageux qu’il a l’impression de connaître, ce qui n’est pas réciproque. Il partage leurs faits et gestes à distance, leurs déceptions aussi. Il n’a d’autre intention secrète que de leur apporter de loin un soutien désintéressé. Une vague mission qu’il se donne sans être certain que cela suffise à justifier son existence. Au risque d’être considéré par le voisinage comme un rêveur ou un curieux aux penchants malveillants ! Quelquefois, prenant un léger recul comme pour détromper un adversaire invisible, il se tient derrière la vitre de sa chambre. Lorsque la buée de sa respiration déforme les maisons au point qu’elles menacent de disparaître, il s’empresse de l’effacer. Et en soirée il lui arrive de veiller encore derrière sa fenêtre jusqu’à ce que le sommeil vienne le cueillir. Il surveille l’avancée des ombres qui se tassent autour des bâtiments de la ferme et deviennent de plus en plus denses et insaisissables. Un soir, quelqu’un paraît à la petite fenêtre éclairée qui flotte au-dessus du bassin comme une voile perdue dans la nuit. Le visage pèse un moment contre la vitre, le regard tendu vers les restes du hangar. Léon recule légèrement. Il n’est pas seul à surveiller le domaine. Un peu plus tard, il faillit ne pas remarquer deux ombres silencieuses glisser en contrebas pour disparaître aussitôt : la femme et son chien noir, sa robe blanche pareille à un fantôme plein de grâce. Puis au moment où il lève les yeux vers la terrasse amarrée dans le ciel de la forteresse, il lui semble entrevoir une forme imprécise sous la verrière percutée par un éclat de lune. Il se surprend alors à refermer en vitesse ses volets sur le flanc sud et se couche en laissant la lumière brûler sur sa tête. D’autres fois, il s’efforce de semer ses pensées en errant le jour dans les ruelles de la vieille ville, entre les maisons qui se touchent presque et mélangent leurs ombres et leurs odeurs. Avec ses hauts remparts de pierres surmontés de gargouilles, la ville ancienne oscille entre l’usure négligente du temps et les résurgences d’un passé glorieux. Plus bas, des marronniers bordent la place de l’église. Le marcheur ralentit le pas sur le parking ombragé. Parmi les voitures en épi, l’une d’elles attire son regard. Elle dépasse des autres et rougeoie d’un éclat qui lui remue le sang. Il reconnaît les contours scintillants et froids de la Mercédès rouge des Bouches du Rhône. Elle est là devant lui, à portée de main. Bien que vide et à l’arrêt, elle l’impressionne encore. Il n’ose pas la toucher. Léon se replie vers l’église jusqu’à un banc à l’écart. On peut le confondre avec un retraité qui cuve paisiblement son ennui quotidien. Il patiente à distance, un œil discrètement braqué sur la mystérieuse rougeur qui fait lever la crainte au creux de l’estomac. Son inquiétude grandit. Les individus qu’il attend peuvent le reconnaître s’ils l’ont repéré sur son balcon, un perchoir en évidence qui fait de lui un témoin gênant. Il est encore temps de se lever et partir. Il reste immobile, indécis, à triturer ses pensées angoissantes. Tout à coup deux hommes sortent de l’église et se rapprochent dans son dos. Léon identifie sans mal le gros bonhomme de la Mercédès. Son ventre proéminent tire sur son costume pâle. L’individu serre sous le bras une serviette noire. Il ne reconnaît pas le second, un jeune homme en blouson de cuir marron, une sorte de voyou élégant à l’allure décidée. Le guetteur au repos ne les attendait pas de ce côté. Il se fige, rêve de disparaître. Il entend grandir leurs pas et un ronronnement de voix. Deux petits yeux noirs flottent sur le corps imposant du patron comme deux balles prêtes à partir. Les hommes marchent toujours vers lui. À sa hauteur, ils cessent de parler. Leurs regards se croisent un instant, suffisamment pour que le retraité innocent se sente traversé de part en part. Léon courbe alors l’échine et ferme les yeux : il ne se passe rien. Lorsqu’il les ouvre de nouveau, les individus se serrent la main près de la Mercédès. Le patron allume un cigare, la tête haute et la mine réjouie comme après une bonne affaire, puis sa voiture quitte l’ombre du parking. Le blouson de cuir a disparu d’un bond dans les ruelles adjacentes. Sur son banc, Léon relâche sa respiration. Il écoute les pépiements salvateurs des moineaux dans les marronniers. La vie reprend une allure normale tout autour de lui, mais il garde la tête lourde de contrariétés et le geste empâté. Il renonce à se...