Colette | Mes apprentissages - Illustrée | E-Book | www.sack.de
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E-Book, Französisch, 143 Seiten

Colette Mes apprentissages - Illustrée

Ce que Claudine n'a pas dit
1. Auflage 2025
ISBN: 978-3-8187-6874-4
Verlag: epubli
Format: EPUB
Kopierschutz: 0 - No protection

Ce que Claudine n'a pas dit

E-Book, Französisch, 143 Seiten

ISBN: 978-3-8187-6874-4
Verlag: epubli
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Je n'ai guère approché, pendant ma vie, de ces hommes que les autres hommes appellent grands. Ils ne m'ont pas recherchée. Pour ma part je les fuyais, attristée que leur renommée ne les vît que pâlissants, soucieux déjà de remplir leur moule, de se ressembler, un peu roidis, un peu fourbus, demandant grâce en secret, et résolus à « faire du charme » en s'aidant de leurs petitesses, lorsqu'ils ne forçaient pas, pour éblouir, leur lumière de déclin.

Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette, est une femme de lettres, actrice et journaliste française, née le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye et morte le 3 août 1954 à Paris
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Rue Jacob, au troisième étage, entre deux cours… Du moins l’une des cours, qui regardait le nord et la rue Visconti, m’offrait des toits de tuiles anciennes, qui me rappelaient la tuile de Bourgogne.

Point de soleil. Trois pièces, un cabinet sombre, la cuisine de l’autre côté du palier, le tout coûtait quatorze cents francs l’an. Une salamandre dans le salon carré, une cheminée à gaz dans un réduit où j’avais installé tub, cuvettes et brocs. Presque pauvre, l’appartement possédait cependant des portes Restauration, blanches, à guirlandes et à petites couronnes, empâtées de peinture. Ce n’est pas moi qui l’avais choisi. Comme mal éveillée, je le visitai vide. Le précédent locataire l’avait habité pendant cinquante ans, le temps de mener à bien une singulière œuvre décorative… Les portes, leurs ornements, les corniches, les plinthes, la niche du poêle en faïence de la salle à manger, les moulures des panneaux de fausse boiserie, les planches des placards, les chambranles, et une grande partie des murs eux-mêmes, étaient couverts de confettis minuscules, multicolores, taillés en losanges, et collés à la main, un à un.

— Je me suis laissé dire, par le Monsieur lui-même, insinua la concierge avec mystère et considération, qu’il y en avait plus de deux cent soixante-quinze mille… C’est un travail.

Un travail comme dans les cauchemars… L’idée que j’allais habiter des murs témoins d’une folie aussi secrète, d’une délectation aussi coupable m’épouvanta… Et puis je n’y pensai plus. Je n’étais qu’une jeune mariée.

Sombre, attrayant comme sont certains lieux qui ont étouffé trop d’âmes, je crois que ce petit logement était très triste. Je le trouvai pourtant agréable. Tant est d’avoir connu pire : je sortais d’un autre campement, l’appartement de garçon de M. Willy, un gîte secoué et sonore au haut d’une maison des quais, qui grelottait à tous camions et omnibus. Je n’ai pu oublier ce logis obscurci de doubles vitres tintantes. Vert bouteille et chocolat, meublé de cartonniers déshonorants, imprégné d’une sorte d’horreur bureaucratique, il semblait abandonné. Sur les parquets gémissants, le moindre courant d’air allait chercher au profond de l’ombre, jusque sous le lit fatigué, et amenait au jour une neige grise, dont les flocons, comme certains nids légers, naissent d’enlacer à un crin, à quelques cheveux, à un brin de fil, une poussière qui ressemble à un plumage… Des piles de journaux jaunis défendaient les sièges ; des cartes postales allemandes erraient un peu partout, glorifiant le pantalon à ruban, la chaussette et la fesse… Le maître du logis eût trouvé mauvais que je m’attaquasse à ce désordre.

Cet appartement impudique, agencé pour la commodité et la négligence d’un célibataire dissolu, j’étais contente de le quitter tous les matins. Déjà le matin me tirait du lit, m’appelait au dehors. L’appétit aussi. Nous passions le pont, vers huit heures et demie. En dix minutes de trajet, M. Willy et moi nous atteignions une crémerie, modeste entre toutes, où les emballeurs bleus de la Belle Jardinière se sustentaient comme nous d’un croissant trempé dans du chocolat mauve…

D’après des détails précis qui percent un mauvais nuage de souvenirs, il m’apparaît que nous vivions très modestement, M. Willy et moi. C’est possible. C’est probable. Je me souviens que « Sido », ma mère, venue pour quelques jours à Paris — elle descendait à l’hôtel du Palais-Royal — surprit que je n’avais pas de manteau en plein hiver 1894, ou 1895. Elle ne dit mot, mais posa sur son gendre son grand regard sauvage, et m’emmena aux magasins du Louvre acheter un manteau noir, de cent vingt-cinq francs, bordé de mongolie, que je trouvai luxueux. Un certain genre de privations n’a point d’action profonde sur les êtres jeunes. Le bizarre non plus ne les atteint guère. Brusquement je me rappelle, amoncelé sur le bureau peint en noir et drapé de grenat, un tas d’or… Rien que des louis, qu’y venait de verser, en retournant ses poches, M. Willy…

— Prenez-en, me dit-il, autant que vos mains fermées peuvent en tenir… Vous compterez après.

Je comptai : huit cent vingt francs. L’or monnayé est un beau métal, qui tiédit facilement et sonne clair…

— Maintenant, dit M. Willy, je pense que vous ne me demanderez pas d’argent pour la maison avant deux mois ?

Je trouvais naturel de vivre les poches vides, tout comme avant mon mariage. Je ne pensais pas non plus que j’eusse pu vivre mieux. Après le matinal chocolat lilas, je réintégrais mes noirs lambris, et je ne me rendais pas compte que j’y étiolais une vigoureuse fille élevée parmi l’abondance que la campagne consentait aux pauvres, le lait à vingt centimes le litre, les fruits et les légumes, le beurre à quatorze sous la livre, les œufs à vingt-six sous le quarteron, la noix et la châtaigne… À Paris, je n’avais pas faim. Je me terrais, surtout pour ne pas connaître Paris, et j’avais déjà, après dix mois de mariage, d’excellentes raisons pour le redouter. Un livre, cent livres, le plafond bas, la chambre close, des sucreries en place de viande, une lampe à pétrole au lieu de soleil — je n’oublie pas le vivace et stupide espoir qui me soutenait : ce grand mal, la vie citadine, ne pouvait durer, il serait guéri miraculeusement par ma mort et ma résurrection, par un choc qui me rendrait à la maison natale, au jardin, et abolirait tout ce que le mariage m’avait appris…

Comprendra-t-on que le fait d’échanger mon sort de villageoise contre la vie que je menai à dater de 1894 est une aventure telle, qu’elle suffit à désespérer une enfant de vingt ans, si elle ne l’enivre pas ? La jeunesse et l’ignorance aidant, j’avais bien commencé par la griserie, une coupable griserie, un affreux et impur élan d’adolescente. Elles sont nombreuses, les filles à peine nubiles qui rêvent d’être le spectacle, le jouet, le chef-d’œuvre libertin d’un homme mûr. C’est une laide envie qui va de pair avec les névroses de la puberté, l’habitude de grignoter la craie et le charbon, de boire l’eau dentifrice, de lire des livres sales et de s’enfoncer des épingles dans la paume des mains.

Je fus donc punie, largement, et tôt. Un jour je revêtis mon beau manteau de cent vingt-cinq francs, nouai mon serpent de cheveux d’un ruban neuf, et me rendis en fiacre rue Bochard-de-Saron, où je sonnai à la porte d’un entresol exigu. Un billet anonyme dit souvent la vérité : je trouvai donc M. Willy et Mlle Charlotte Kinceler ensemble, non point au lit, mais penchés sur un livre — encore ! — de comptes. M. Willy tenait le crayon. J’écoutais mon cœur battre dans mes amygdales, et les deux amants regardaient, stupéfaits, cette jeune provinciale pâle aux longs cheveux, sa tresse autour du cou et des frisettes sur le front. Que dire ? Une petite femme brune — un mètre quarante-neuf, exactement — pas jolie, pleine de feu et de grâce, tenait ses ciseaux à la main et attendait un mot, un geste pour me sauter au visage… Si j’avais peur ? Mais non, je n’avais pas peur. Un drame, l’espoir d’une catastrophe, le sang, un grand cri : à vingt ans on contemple en soi-même, tous les jours, des paysages tragiques bien plus beaux. D’ailleurs ni Mlle Kinceler, ni moi n’avions l’air emprunté, tandis que M. Willy s’essuyait le front qu’il avait rose, illimité et puissant.

— Tu viens me chercher ? dit-il.

D’un air incertain, je regardais Mlle Kinceler et mon mari, mon mari et Mlle Kinceler, et je ne trouvai à répondre, sur un ton de mondanité, que :

— Mais oui, figure-toi…

Il se leva, me fit passer devant lui, et me poussa au delà de la porte d’entrée avec une célérité magique. Dehors, j’étais assez fière de n’avoir ni tremblé ni menacé. Mais je regrettais de n’avoir pas entendu le son de la voix de Mlle Kinceler. Et surtout je me repaissais amèrement de tout ce que j’avais entrevu : l’exiguïté et l’ordre de l’appartement, une fenêtre ensoleillée, un air d’accoutumance, la toile cirée sur une table dont l’un des abattants était replié, une cage à canaris, le coin d’un grand lit dans la petite pièce voisine, les cuivres et l’émail d’une cuisine-armoire, l’homme un peu ventru assis de biais sur une chaise cannée, la jeune femme-tison qui tenait ses ciseaux pointus, — et l’intruse, la jeune femme à la tresse, mince dans son manteau de confection…

J’entendais mon mari respirer par saccades. Parfois il soulevait son chapeau à bords plats et s’essuyait le front. Il ne comprenait pas ce que signifiaient mon arrivée, mon mutisme, ma modération. Moi non plus. Un peu après je me rendis compte que, malgré tant de nouveauté, d’étonnement et même de désespoir, je m’étais sur-le-champ mise à réfléchir, et décidais qu’il importait de tenir « Sido » dans l’ignorance. Je l’y tins.

Je n’ai pas réussi complètement à la tromper, car elle voyait à travers les murailles. Mais j’ai fait de mon mieux pour qu’elle me crût heureuse, pendant treize ans. Mon rôle était difficile, surtout au commencement. Quand je lui rendais visite, à Châtillon-Coligny, j’avais à redouter un rude moment. Mes premières heures de séjour provincial, en dépit de la maison si petite et si modeste — si différente de la large maison natale de Saint-Sauveur — me rendaient le goût de rire, de questionner, de suivre mon frère...



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