E-Book, Französisch, 137 Seiten
Erckmann-Chatrian Waterloo
1. Auflage 2015
ISBN: 978-963-525-587-0
Verlag: Booklassic
Format: EPUB
Kopierschutz: 0 - No protection
E-Book, Französisch, 137 Seiten
ISBN: 978-963-525-587-0
Verlag: Booklassic
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Voici la suite de l'histoire de Joseph Bertha. Guéri de sa terrible maladie, le «Conscrit de 1813» est en congé «dans ses foyers» apres la chute de l'Empereur. Il attend avec impatience du ministre de la Guerre de Louis XVIII la permission de se marier, qui finit par arriver. Mais la royauté restaurée déçoit tellement l'opinion, avec les émigrés de retour qui réclament tous leurs anciens privileges et qui se comportent comme si la Révolution n'avait jamais eu lieu, que Napoléon revient de son exil de l'île d'Elbe, entraînant dans son sillage tous ses anciens soldats mis au rebut par le nouveau pouvoir et tous les patriotes autour du drapeau tricolore, qui voient en lui le Jacobin adversaire des Bourbons et du cléricalisme. Joseph Bertha est rappelé a son régiment et doit partir pour la campagne de Belgique ou la France affronte une coalition de toute l'Europe. Survivant aux terribles combats (victoire de Ligny, désastre de Waterloo), il suit l'armée impériale qui tente d'empecher l'invasion de la patrie jusque sous Paris. La seconde abdication de l'empereur le pousse a déserter et, en compagnie de quelques camarades, a revenir a pied au pays ou il menera une vie paisible avec sa femme.
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Chapitre 2
Au milieu de cette grande impatience, je voyais tous les jours des choses nouvelles, qui me reviennent maintenant comme une véritable comédie qu’on joue sur la foire : je voyais les maires, les adjoints, les conseillers municipaux des villages, les marchands de grains et de bois, les gardes forestiers et les gardes champêtres, tous ces gens que l’on regardait depuis dix ans comme les meilleurs amis de l’Empereur, –et qui même étaient très-sévères quand on disait un mot contre Sa Majesté, – je les voyais, soit à la halle, soit au marché, soit ailleurs, crier contre le tyran, contre l’usurpateur et l’ogre de Corse. On aurait dit que Napoléon leur avait fait beaucoup de mal, tandis qu’eux et leurs familles avaient toujours eu les meilleures places. J’ai pensé bien souvent depuis que c’est ainsi qu’on a toujours les bonnes places sous tous les gouvernements, et malgré cela j’aurais eu honte de crier contre ceux qui ne peuvent plus vous répondre et qu’on a flattés mille fois ; j’aurais mieux aimé rester pauvre en travaillant, que de devenir riche et considéré par ce moyen. Enfin voilà les hommes ! Je dois reconnaître aussi que notre ancien maire et trois ou quatre conseillers ne suivaient pas cet exemple ; M. Goulden disait qu’au moins ceux-là se respectaient, et que les criards n’avaient pas d’honneur. Je me rappelle même qu’un jour le maire de Hacmatt étant venu faire raccommoder sa montre chez nous, se mit tellement à parler contre l’Empereur, que le père Goulden, se levant tout à coup, lui dit : « Tenez, monsieur Michel, voici votre montre, je ne veux pas travailler pour vous. Comment… comment ! vous qui disiez encore l’année dernière « Le grand homme ! » à tout bout de chemin, et qui ne pouviez jamais appeler Bonaparte, Empereur tout court, mais qui disiez « l’Empereur et Roi, protecteur de la Confédération helvétique, » comme si vous aviez eu la bouche pleine de bouillie, vous criez maintenant que c’est un ogre, et vous appelez Louis XVIII, Louis le Bien-Aimé ? Allez… vous devriez rougir ! Vous prenez donc les gens pour des bêtes, vous croyez qu’ils n’ont pas de mémoire ? » Alors l’autre répondit : « On voit bien que vous êtes un vieux jacobin. – Ce que je suis ne regarde personne, fit le père Goulden ; mais, dans tous les cas, je ne suis pas un flagorneur. » Ilétait tout pâle et finit par crier : « Allez, monsieur Michel, allez… les gueux sont des gueux sous tous les gouvernements. » Ce jour-là son indignation était si grande, qu’il ne pouvait presque pas travailler, et qu’il se levait à chaque minute en criant : « Joseph, si j’avais eu du goût pour les Bourbons, ce tas de gueux m’en auraient déjà dégoûté. Ce sont des individus de cette espèce qui perdent tout, car ils approuvent tout, ils trouvent tout beau, tout magnifique, ils ne voient de défaut en rien ; ils lèvent les mains au ciel avec des cris d’admiration quand le roi tousse ; enfin ils veulent avoir leur part du gâteau. Et quand, àforce de les entendre s’extasier, les rois et les empereurs finissent par se croire des dieux, et qu’il arrive des révolutions, alors des gueux pareils les abandonnent, et recommencent la même comédie sous les autres. De cette façon, ils restent toujours en haut, et les honnêtes gens sont toujours dans la misère ! » Cela se passait au commencement du mois de mai, dans le temps où l’on affichait à la mairie que le roi venait de faire son entrée solennelle à Paris, au milieu des maréchaux de l’Empire, « que la plus grande partie de la population s’était précipitée à sa rencontre, que les vieillards, les femmes et les petits enfants avaient grimpé sur les balcons pour jouir de sa vue, et qu’il était entré d’abord dans l’église Notre-Dame, rendre grâces au Seigneur, et seulement ensuite dans son palais des Tuileries. » On affichait aussi que le sénat avait eu l’honneur de lui faire un discours magnifique, disant qu’il ne fallait pas s’effrayer de tous nos désordres, qu’il fallait prendre courage, et que les sénateurs l’aideraient à sortir d’embarras. Chacun approuvait ce discours. Mais peu de temps après nous devions jouir d’un nouveau spectacle, nous devions voir revenir les émigrés du fond de l’Allemagne et de la Russie. Ils arrivaient les uns en patache, les autres en simples paniers à salade, qui sont des espèces de chariots en osier, à deux et quatre roues. Les dames avaient des robes à grands ramages, et les hommes portaient presque tous le vieil habit à la française, avec la petite culotte, et le grand gilet pendant jusque sur les cuisses, comme on les représente dans les images du temps de la République. Tous ces gens semblaient fiers et joyeux ; ils étaient contents de revenir dans leur pays. Malgré les vieilles haridelles qui les traînaient, malgré leurs misérables voitures remplies de paille, et les paysans qu’ils faisaient monter devant en guise de postillons, malgré tout, cela m’attendrissait ; je me rappelais la joie que j’avais eue, cinq mois avant, de revoir la France, et je me disais : « Pauvres gens, vont-ils pleurer en revoyant Paris, vont-ils être heureux ! » Comme ils s’arrêtaient au Bœuf-Rouge, l’hôtel des anciens ambassadeurs, des maréchaux, des princes, des ducs et de tous ces richards qui ne venaient plus, on les voyait dans les chambres en train de se peigner, de s’habiller, de se faire la barbe eux-mêmes. Sur les midi, tous descendaient, criant, appelant : « Jean ! Claude ! Germain ! » avec impatience, ordonnant comme des personnages, et s’asseyant autour des grandes tables, leurs vieux domestiques tout râpés debout derrière eux, la serviette sur le bras. Et ces gens, avec leurs habits de l’ancien régime, leur air joyeux et leurs belles manières, faisaient tout...