E-Book, Französisch, 158 Seiten
Franck La philosophie mystique en France à la fin du XVIIIe siècle
1. Auflage 2021
ISBN: 978-2-322-24953-4
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Saint-Martin et son maître Martinez Pasqualis
E-Book, Französisch, 158 Seiten
ISBN: 978-2-322-24953-4
Verlag: BoD - Books on Demand
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Adolphe Franck est un philosophe français (1810-1893). Outre une vingtaine d'ouvrages, Adolphe Franck est l'auteur de très nombreuses contributions aux publications de l'Académie des sciences morales et politiques, aux Archives israélites de France, au Journal des débats et au Journal des savants.
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CHAPITRE II
Saint-Martin. — Son enfance. — Sa première éducation. — Sa rencontre avec Martinez Pasqualis. — Ses succès dans les salons. — Ses voyages. — Ses rapports avec madame de Bœcklin.
Par sa naissance, son éducation, sa constitution même, autant que par la pente naturelle de son esprit, Saint-Martin était prédestiné à la tâche qu’il a remplie, et se trouvait armé contre les influences qui auraient pu l’en détourner. Né à Amboise, le 18 janvier 17/13, d’une famille noble, mais pauvre et obscure22, il se voyait en quelque sorte désintéressé dans le terrible conflit qui devait éclater à la fin du siècle et qui existait dès lors dans les esprits, entre les deux classes inégales de la société. La faiblesse de son organisation le mettait à l’abri des entraînements qui sole, pendant un temps, le plus grand obstacle à la vie contemplative. Il était, quoique beau de visage et élégant dans ses proportions, d’une apparence si délicate, qu’il a pu dire23 : « On ne m’a » donné de corps qu’un projet. » — « La Divinité, « écrit-il un peu plus loin24, ne m’a refusé tant d’astral25 que parce qu’elle voulait être mon mobile, mon élément et mon terme universel. » Doué d’une âme tendre et aimante, mais qui, selon son aveu26, n’était pas étrangère à toute sensualité, il n’avait besoin que d’une première impulsion pour se trouver sur la pente qu’il a suivie toute sa vie. Cette direction décisive, il la reçut de sa belle-mère, car sa mère lui fut enlevée peu de temps après lui avoir donné le jour. C’est à cette femme qu’il se reconnaît redevable d’une grande partie des qualités qui l’ont fait aimer de Dieu et des hommes. Il se rappelle « avoir senti en sa présence une grande circoncision intérieure, qui lui a été fort instructive et fort salutaire. » Il n’y a pas jusqu’à l’humeur sévère de son père qui, en le forçant à se contraindre et à refouler en lui-même les meilleurs mouvements de son cœur, ne contribuât à le pousser vers les solitaires contemplations. Elle servait à nourrir en lui ces dispositions mélancoliques qui étaient, comme il nous l’apprend lui même, le fond de sa nature. « J’ai été gai, mais la gaieté n’a été qu’une nuance secondaire de mon caractère ; ma couleur réelle a été la douleur et la tristesse.27 »
Ainsi préparé, il entre au collège de Pontlevoi, où les lectures mystiques l’attirent déjà plus que les lectures classiques. Nous ne trouvons chez lui, à quelque âge de sa vie qu’on le considère, aucun souvenir des auteurs de l’antiquité grecque et latine, tandis que nous savons que, dans son enfance, il faisait ses délices de l’ d’Abadie.28 À un ouvrage de ce genre, venait sans doute se joindre l’étude de la Bible, dont il est resté comme un parfum dans tous ses écrits, particulièrement dans ses Pensées détachées. Conformément au précepte qu’il donne aux autres, il a dû, de bonne heure, « mettre son esprit en pension chez les Écritures saintes.29 »
Du collège il passa à l’école de droit, probablement celle d’Orléans, qui le laissait en quelque sorte au sein de sa famille. On verra tout à l’heure qu’il n’y est pas devenu un grand jurisconsulte et que le droit coutumier et le droit romain n’ont pas beaucoup occupé ses veilles. En revanche, il se prit d’une véritable passion pour le droit naturel. Le mal n’aurait pas été grand si l’attrait qu’il trouvait à cette branche de la jurisprudence l’avait mis en communication avec Grotius ou avec Leibnitz ; mais, soit ignorance, soit mauvais goût, il aima mieux s’adresser à un écrivain de second ordre. « C’est à Burlamaqui, dit-il30, que je dois mon goût pour les bases naturelles de la raison et de la justice de l’homme. » C’est lui qui lui a donné la force de combattre Rousseau. Aussi le compte-t-il parmi les trois hommes qui ont exercé le plus d’empire sur sa destinée et qu’il reconnaît pour ses maîtres. Les deux autres sont Martinez Pasqualis et Jacob Bœhm.
À la même époque, c’est-à-dire à l’âge de dix-huit ans, il connaissait déjà presque tous les philosophes du XVIIIe siècle. Mais leurs écrits ne firent aucune brèche à ses croyances, parce que la foi était dans son cœur beaucoup plus que dans son esprit. Mais, pour lui, il y voyait une preuve de la grâce particulière dont il se figurait être l’objet et du rôle providentiel que lui attribuait son naïf orgueil. « Le passage de l’Évangile : , s’est vérifié sur moi dans l’ordre philosophique. J’ai lu, vu, écouté les philosophes de la matière et les docteurs qui ravagent le monde par leurs instructions, et il n’y a pas une goutte de leur venin qui ait percé en moi, ni un seul de ces serpents dont la morsure m’ait été préjudiciable. Mais tout cela s’est fait naturellement en moi et pour moi ; car, lorsque j’ai fait ces salutaires expériences, j’étais trop jeune et trop ignorant pour pouvoir compter mes forces pour quelque chose.31 »
Il avait un grand-oncle appelé M. Poucher, qui était conseiller d’État. Dans l’espérance que cette position pourrait un jour passer à lui par droit d’héritage, son père voulut qu’il entrât dans la magistrature et le fit nommer avocat du roi au siège présidial de Tours. Saint-Martin se laissa faire avec cette obéissance filiale qu’il garda jusqu’au déclin de sa vie. Le succès aurait dû couronner son sacrifice ; mais il n’en fut rien. L’opinion qu’il donna de lui en prenant possession de sa charge fut si malheureuse, qu’il versa des larmes, nous dit-il lui-même, plein son chapeau. Il persista encore six mois ; mais, au bout de ce temps, l’épreuve lui parut décisive et il obtint de son père de quitter une profession pour laquelle il n’avait pas plus d’aptitude que de goût. Il avait beau assister, à ce qu’il nous assure, à, toutes les plaidoiries, aux délibérations, aux voix et au prononcé du président, il n’a jamais su une seule fois qui est-ce qui gagnait, ou qui est-ce qui perdait le procès.
Que faire après cela ? car on ne lui permettait pas de rester oisif, ou, ce qui était la même chose pour son père, de vivre dans la retraite et dans l’étude. Pour un jeune homme de noble extraction, qui venait de quitter la robe, il n’y avait que la carrière des armes. Ce fut celle qu’embrassa Saint-Martin, presque avec joie, bien qu’au fond elle ne s’accommodât pas mieux à son caractère que celle d’où il sortait. « J’abhorre la guerre, j’adore la mort », écrit-il plus tard32, et ces paroles expriment les sentiments de sa plus tendre jeunesse. Mais il se flattait que le service militaire se prêterait beaucoup mieux que la magistrature à ses goûts contemplatifs. Grâce à la protection de M. de Choiseul, le jeune avocat du roi démissionnaire reçut un brevet d’officier au régiment de Foix, et Saint-Martin, sans autre préparation que ses souvenirs philosophiques de l’école de droit, alla rejoindre son corps qui tenait garnison à Bordeaux.
Ce fut un moment solennel dans son existence et qui lui revient à chaque instant à la mémoire ; car Bordeaux fut pour lui le chemin de Damas ; c’est à Bordeaux qu’il rencontra son premier précepteur spirituel, qu’il fut introduit, par quelques camarades de régiment déjà initiés, dans la loge de Martinez. « C’est à Martinez de Pasqualis, dit-il33, que je dois mon entrée dans les vérités supérieures. C’est...