E-Book, Französisch, 405 Seiten
Ohnet Au fond du Gouffre
1. Auflage 2021
ISBN: 978-2-322-24785-1
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
E-Book, Französisch, 405 Seiten
ISBN: 978-2-322-24785-1
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Malgré le fait qu'il n'ait jamais cessé de clamer son innocence, Jacques de Fréneuse est accusé du meurtre de sa maîtresse Léa Parelli et envoyé au bagne. Un de ses amis, le vicomte Tristan de Tragomer, qui le croyait coupable, affirme un an après que Léa Parelli est vivante, il l'aurait croisé lors d'un voyage. Il décide alors avec la complicité d'un ami de faire évader Jacques de Fréneuse afin qu'il prouve son innocence, découvre qui est le véritable meurtrier et qui est l'assassinée.
Georges Ohnet, né à Paris le 3 avril 1848 et mort à Paris le 5 mai 1918, est un écrivain populaire français.
Autoren/Hrsg.
Weitere Infos & Material
II
Il y a à Paris, des maisons tristes et des maisons gaies, sur la façade desquelles se lit la mélancolie ou la joie, qui paraissent faites pour abriter le plaisir ou la douleur, et dont les pierres ont une physionomie comme des êtres vivants. Ces maisons attirantes ou repoussantes donnent envie de les habiter ou de les fuir. Il semble, pour les unes, que toutes les faveurs de la destinée doivent combler ceux qui y séjournent ; pour les autres, que tous les maux de l’humanité doivent fondre sur ceux qui s’y arrêtent. Le passant, impressionné, hâte sa marche, quand il arrive dans l’ombre inquiétante de ces asiles du malheur, et détournant les yeux, pense à part lui : pour rien au monde je ne logerais dans ce tombeau. Au contraire, quand il se trouve devant un de ces coquets et riants séjours, il s’attarde à regarder autour de lui, comme pour s’imprégner de l’influence favorable, et s’éloigne, à regret, en se disant : ici doit habiter le bonheur. De toutes ces maisons silencieuses, noires, faites pour le deuil, la tristesse et la malchance, il n’en est pas de plus lugubre et de plus désolée que celle située rue des Petits-Champs, n° 47 bis, devant la porte cochère de laquelle s’arrêta, de bonne heure, le lendemain de Noël, la voiture de Cyprien Marenval. D’un air important, le visiteur dit à son cocher : — Pierre, promenez le cheval, au pas, pendant un quart d’heure, il a très chaud… J’en ai pour un peu de temps, ici, et il y a vraiment un courant d’air atroce dans cette rue. Il remonta le col de sa pelisse, leva les yeux sur la porte cochère, dont la voûte sombre s’ouvrait devant lui, et, déjà morose, rien que d’avoir regardé le rébarbatif passage, il s’engagea résolument dans la cour. Au fond, un hôtel d’aspect monacal, à la façade noircie par le temps, aux fenêtres fermées de leurs persiennes, comme des yeux clos, offrait son entrée, à laquelle on accédait par un perron de quatre marches verdies par les pluies. Marenval sonna, et le coup de timbre retentit dans l’hôtel, troublant le silence, d’un bruit sacrilège. Au bout d’un instant, à travers les vitres, le visiteur aperçut un vieux domestique qui se hâtait, et la porte s’ouvrit. Le serviteur, avec un étonnement joyeux, s’empressa, retirant à Marenval son paletot, disant avec une familiarité attendrie : — Oui, monsieur, ces dames sont là… Elles vont être heureuses de voir monsieur. Il y a longtemps que monsieur n’est venu… — Elles sont si tristes, mon brave Giraud… Si tristes, qu’il est difficile de se mettre au même diapason… Si affligé qu’on se sente soi-même, on craint, en essayant de les consoler, d’offenser leur douleur… — Oui, monsieur, c’est bien vrai ! dit le domestique en baissant la tête. Leur douleur est inconsolable. — Mais comment vont-elles ? Leur santé ? — Bonne, monsieur. On ne peut dire quelle ne soit bonne… Ah ! si l’état d’esprit était pareil… Mais il ne l’est pas. Non ! Il ne l’est pas ! — Enfin, Giraud, il faut espérer. Qui sait ? Ça peut changer. — Oh ! non, monsieur, il est impossible d’espérer… Mais, pardon, si monsieur veut prendre la peine d’entrer, j’irai prévenir ces dames. Marenval entra dans un vaste salon, un peu sombre, meublé d’un mobilier ancien en tapisserie. Sur les murs étaient accrochés quelques tableaux intéressants, reste d’une remarquable collection, dont des ventes successives avaient dispersé les plus précieuses toiles. Dans les angles, des vitrines étaient vides. Épaves d’un grand luxe, brusquement disparu, auquel n’avait survécu que la noble ordonnance d’une habitation jadis somptueuse. Il était facile de voir que les habitantes de l’hôtel ne se tenaient pas habituellement dans cette pièce d’apparat. Rien ne s’y trouvait des objets familiers à deux femmes intelligentes et actives. Tout était correct, froid et lugubre. Une porte s’ouvrit, et le vieux domestique reparut : — Si monsieur veut prendre la peine de me suivre, madame prie monsieur d’être assez bon pour monter chez elle… Le grand escalier de pierre à rampe de fer forgé fut gravi par Marenval, et sur le palier du premier étage, à l’entrée d’une galerie obscure, une jeune fille, tout en noir, s’avança au-devant du visiteur. Le vieux Giraud s’esquiva sans bruit, et Marenval se trouva, un peu gêné, en face de Mlle de Fréneuse. Elle lui tendait la main, en souriant. Mais quelle navrante mélancolie, dans l’expression de ce beau visage ! La délicatesse des traits était empreinte d’une gravité douloureuse. Les yeux noirs, doux et profonds, se cernaient, mortifiés par les larmes. Un front admirable couronné de cheveux blonds, ondulés, noués derrière la tête, sans coquetterie, donnait à cette fière physionomie une incomparable noblesse. Marenval regarda un instant sa belle parente, hocha tristement la tête, et dit d’un ton affectueux : — Eh bien ! mademoiselle Marie, toujours aussi peu raisonnable ? — Toujours aussi malheureuse, monsieur Marenval. — Et votre mère ? — Vous allez la voir. Elle introduisit Cyprien dans une petite pièce, sorte de sanctuaire, où Mme de Fréneuse avait réuni tout ce qui lui rappelait son fils. Portraits, livres, dessins, évoquaient celui qu’elle n’avait jamais cessé de pleurer, malgré ses fautes, et qu’elle regrettait tous les jours de sa vie. Elle se leva d’un fauteuil bas, et, vêtue de deuil, la taille voûtée par le chagrin, le visage blême sous ses cheveux blancs, très douce et très résignée, elle remercia tout d’abord Marenval de sa visite, en femme, non pas heureuse de voir rompre la solitude de son existence, mais touchée d’une démarche qui attestait un souvenir affectueux. Marenval, après s’être assis, dirigea ses regards sur un magnifique portrait représentant un grand et élégant jeune homme, au visage ouvert et joyeux. Un amer sourire plissa la lèvre de Mme de Fréneuse. Elle laissa le visiteur contempler à son aise la toile, puis d’une voix étouffée et presque sans timbre, elle dit : — Voilà ce qu’il était. Qu’est-il maintenant ? Qu’en a-t-on fait ? Depuis deux ans, il a été impossible d’obtenir qu’il laissât faire une photographie, que nous aurions payée bien cher… Il n’a jamais voulu consentir à ce que nous ayons, sous les yeux, un Jacques, les cheveux et la barbe rasés, portant la veste de bure… — Avez-vous de ses nouvelles ? — Régulièrement. — Dans quel état est-il ? — Matériellement, il ne se plaint pas. Il est si jeune, si fort. Et puis il est, paraît-il, bien traité. On l’a mis, dernièrement, dans les bureaux… Il rend des services. Son existence est moins misérable. Mais moralement… — Continue-t-il à protester de son innocence ? À cette question, une flamme passa sur le pâle visage de Mme de Fréneuse, ses yeux étincelèrent et, d’une voix qui recouvrait de la vigueur, elle s’écria : — Jusqu’à la mort, il déclarera qu’il n’a pas commis ce crime atroce. Il n’a pas pu le commettre. Jamais, vous entendez bien, Marenval, ma fille et moi, nous ne cesserons de le proclamer : il y a eu, contre Jacques, un effroyable accord de circonstances accablantes. Les hommes ont pu se tromper sur son compte et le juger en toute sincérité, mais nous, sa sœur et sa mère, jusqu’à notre dernier souffle, nous répéterons, avec lui qu’il était innocent. Marenval regarda les deux femmes d’un air approbateur, puis, redressant sa tête de vieux beau, il dit d’un ton ferme : — C’est tout à fait mon opinion. À ces paroles que, pour la première fois, il faisait entendre à la mère désolée, Mme de Fréneuse se redressa, elle rougit, et, avec une soudaine vivacité : — Marenval, qu’est-ce que cela signifie ? Jamais vous n’avez été aussi affirmatif. Il y a plus : je vous accusais de ne pas partager notre ardente conviction. Vous nous aviez toujours paru moins étonné qu’humilié de ce qui était arrivé, et subitement, vous prenez une attitude toute différente. Marie, tu le vois, il n’est plus le même. Il a changé du tout au tout. Oh ! mon Dieu ! Est-ce que vous auriez appris quelque chose d’heureux ? Est-ce que, après avoir tant désespéré, nous pourrions enfin… — N’allez pas si vite, interrompit Marenval avec un peu de mécontentement, car, en une seconde, il se voyait débordé et craignait déjà d’en avoir trop dit. Vous étiez injuste en m’accusant de n’avoir pas eu foi, comme vous, dans l’innocence de Jacques. Vous n’ignorez pas que je l’ai défendu, avec toute l’énergie d’un homme que le monde englobait, avec malignité, dans la catastrophe dont vous étiez atteinte. Oui, j’ai vu, dans son plein, à cette époque, la canaillerie humaine. Tout ce que l’envie, la bassesse, la méchanceté peuvent inventer, pour éclabousser une personnalité honorable, on l’a tenté contre moi. J’ai souffert de vos malheurs, certes, autant que vous-même, car, dans le monde parisien, pendant plus d’un an, on ne m’a appelé que Marenval « le cousin de Fréneuse ». Ah ! je sais de bons compagnons qui auraient bien voulu insinuer que je méritais le bagne moi-même. Et tout cela, pourquoi ? Parce que je suis riche, bon vivant, que j’ai un bel hôtel, une belle chasse, de beaux chevaux et une loge entre colonnes à l’Opéra. Vraiment, y a-t-il là de quoi vous faire aller aux galères ? Eh bien ! J’ai des amis qui voudraient m’y voir ! Vous jugez de ce que ces bonnes âmes ont...