E-Book, Französisch, 220 Seiten
Robert / Lissonnet La main noire
1. Auflage 2023
ISBN: 978-2-322-43453-4
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
E-Book, Französisch, 220 Seiten
ISBN: 978-2-322-43453-4
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
De nos jours, à Bolbec, dans le Pays de Caux, en Normandie, un obus allemand oublié éclate dans la cour du couple Bouju. Une main noire de fioul est projetée dans la chambre d'une voisine, la jeune chanteuse, Luna de Bourdon-Buchy. Après analyse, il apparaît que cette main reposait dans le pétrole depuis des décennies. Le reste du corps? Introuvable. La découverte du membre amputé met tout le commissariat de Bolbec en émoi, à commencer par le commandant Georges Faidherbe pour qui jeux de mains rime forcément avec jeux de vilains. LA MAIN NOIRE relate la septième enquête, sous la plume de ROBERT VINCENT, de ce policier havrais, temporairement détaché sur place dans un polar d'humour noir, poétique et cruel, qui transforme le roman policier en tragédie musicale.
Christian ROBERT, né en 1954, ancien professeur de Lettres Classiques, a signé à ce jour avec Vincent LISSONNET, 10 romans policiers publiés par divers éditeurs (Corlet, Ravet-Anceau, Cogito, Les Falaises) sous le pseudonyme ROBERT VINCENT. Les titres épuisés chez les éditeurs d'origine sont réédités chez BoD. Un 11ème, La Fille dans l'arbre, sera publié fin, 2022 par MAN éditions, un 12ème est en cours d'écriture. En solo, il est également auteur de nouvelles, d'un conte et de deux recueils de fables publiés chez BoD.
Autoren/Hrsg.
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1
Pays de Caux, août 1944 : le choc
— Frappez, monsieur Hergot. Frappez donc. Frappez fort. Vite ! La cime des arbres commençait à se distinguer sur un ciel vide de nuages. Une légère pâleur montait de l’est. Bientôt, ce serait l’aube d’un nouveau jour du mois d’août 1944. Dans une pente, en contrebas d’une route de campagne où les taillis venaient d’être fauchés par un accident, un civil entre deux âges tenait dans ses mains le pare-chocs arraché d’une Opel Super Six de l’armée allemande. La pièce de métal était trop lourde pour lui. Mais c’était surtout son hésitation qui rendait son geste maladroit. Un pan de sa veste soulevé par l’extrémité du pare-chocs battait lentement au rythme de sa respiration et du mouvement léger d’oscillation de son corps. En face de lui, le jeune capitaine Heiner Obendorf s’impatientait. Il parlait avec ce léger accent et ce rythme que la fille d’Hergot, Josiane, trouvait si charmant. Le civil, Étienne Hergot, ne l’entendait plus. Le malheureux avait l’impression d’être la vedette agitée d’un film muet. Il voulait vite sortir de ce cauchemar éveillé. Alors, il frappa. Du mieux qu’il pouvait. Ni par haine ni à cause des humiliations accumulées pendant quatre ans d’occupation. Comme sa fille, il avait encore de la sympathie pour le jeune officier allemand. Ses coups firent écho à une batterie antiaérienne en pleine action. Sous le premier, l’Allemand s’agenouilla. Le second, lancé d’un grand balancement du pare-chocs, atteignit le visage, et fit s’effondrer le jeune officier, qui roula dans les feuilles mortes et les ronces hachées. Sidéré, le Français accomplit mécaniquement l’autre geste prévu : la lanterne électrique à la main, il jeta son arme improvisée de l’autre côté de la voiture accidentée. Étienne Hergot passa ensuite devant le poste de conduite, qu’il balaya de sa lumière. Il aperçut le buste du chauffeur. Le visage était découpé en éventail par les lames de verre du pare-brise éclaté sous le choc. Le Français fut pris de malaise. Il tituba comme un homme soûl vers l’avant défoncé de l’Opel. Il fallait se reprendre pourtant, et bien exécuter le reste. Hergot retourna le corps allongé à terre. Il chercha le poignet, le pouls. Il ne sentit rien dans la nervosité de l’instant. Alors il s’agenouilla et écouta le cœur. A travers la vareuse, le son ne passait pas. Le canon de 88 tonnant contre une escadrille de bombardiers alliés revenus de leur mission nocturne gênait aussi le Français. À chaque salve d’artillerie, il enfonçait la tête dans ses épaules, paralysé, redoutant d’entendre aussi le sifflement des bombes qui tombent comme dans cet après-midi du 1er août où le mont de Bolbec et la gare avaient été ravagés. Vingt et un morts dont six femmes. Tués par les Alliés. Il prit enfin sur lui et remonta vers le visage tourné contre le sol. Il n’y toucherait pas, surtout pas après le choc terrible et destructeur qu’il avait asséné. Il écouta seulement. Un gargouillis le rassura. Du sang, des humeurs bouillonnaient sous l’effet d’une respiration lente et tranquille. Le jeune Hauptmann Heiner Obendorf avait été assommé à sa demande expresse. Il était dans le coma peut-être mais vivant et sans doute serait-il satisfait plus tard. Étienne Hergot essuya d’un grand mouchoir à carreaux son visage en sueur malgré la fraîcheur du petit matin. Il tremblait encore, pourtant il réussit à rassembler ses pensées. Il allait passer chez Ernest Aubourg. Le laitier devait être déjà levé et se préparait pour sa tournée. Hergot lui demanderait de promener par ici sa carriole, de ramasser le blessé et de porter l’alarme au PC des Schleus, la Kommandantur, installée au premier étage de la mairie de Bolbec. Il fallait improviser. Rien de tout ça n’était prévu quand Hergot s’était couché la veille au soir après avoir embrassé Josiane. Sa fille, installée dans le salon, finissait une traduction pour les Allemands. Plus tard, en pleine nuit, le jeune capitaine Obendorf était apparu devant la porte de sa chambre, fébrile, décidé, l’uniforme déchiré et souillé. Il avait persuadé Étienne Hergot, pour ne pas dire forcé, de le suivre dans la nuit. Comment était-il entré dans la maison fermée à clef ? Mystère. En hâte, les deux hommes avaient quitté la maison puis la ville silencieusement. Hergot ramassa la serviette de cuir qu’Obendorf avait tirée des buissons pour la lui donner. C’est pour ça aussi que le Hauptmann l’avait fait cavaler jusque-là : deux cent mille francs en billets de mille avec leur bel Hermès et leur Déméter aux yeux d’aveugle. Une somme. On manquait de tout. Il n’y avait plus rien à acheter. Mais la guerre ne durerait plus longtemps, ni les restrictions. Deux cent mille francs, quatre ou cinq ans de revenu, ne seraient pas négligeables après. Il était prêt à détaler quand une vague inquiétude, le sentiment d’avoir oublié quelque chose d’essentiel, fit retourner Hergot à l’Opel. Bon Dieu, la portière arrière était fermée ! Comment les Frisés pourraient-ils croire que le capitaine avait été éjecté sous le choc de l’accident ? Le Français ouvrit grand la portière. Sous l’effet de son propre poids et de la pente, elle se referma aussitôt avec un bruit sec comme un coup de fusil qui le fit sursauter. Il faudrait expliquer ça à Aubourg au cas où les Boches le cuisineraient. Hergot eut le temps d’apercevoir le troisième homme, un civil, dans la berline. Une impulsion lui fit rouvrir la porte et braquer sa lampe à l’intérieur. Il n’aurait pas dû. Il eut un haut-le-cœur, retint difficilement une envie de vomir. Le type avait la moitié de la tête arrachée. Sa calotte crânienne reposait dans une mare de sang, sur la banquette, découpée par la rafale d’un Hawker Tempest britannique. C’était le même spectacle horrible qu’en mars, le mercredi où il rentrait du Havre en autocar. Aux Trois-Pierres, vers 18 heures, des avions alliés les avaient mitraillés. Son voisin de banquette, un client, Théophraste Geoffrey, avait eu le cou sectionné. Il y avait eu d’autres morts et des blessés, du sang partout, même sur lui, le miraculé indemne. Dans l’Opel, le rescapé cette fois-ci avait été le jeune Heiner Obendorf. Il escortait alors un ponte de la collaboration industrielle travaillant pour l’organisation Todd chargée de superviser la construction du Mur de l’Atlantique et de la Manche. Le miracle lui avait ouvert les yeux sur sa débâcle personnelle. Mieux valait se faire rapatrier sanitaire, la gueule cassée, que crever dans une guerre perdue désormais bien que les rapports officiels fussent toujours fanfarons. « Des avions de guerre allemands rapides ont attaqué des objectifs dans le sud et l’est de l’Angleterre »1. Ces avions rapides, le capitaine teuton eût préféré les voir en action au-dessus de lui, ce soir-là. La victime à l’arrière de l’Opel était une huile : ses habits et ses chaussures étaient neufs et de très bonne qualité, élégants, luxueux même, une rareté après cinq ans de guerre. Étienne Hergot savait de quoi il retournait : il était tailleur. Par terre, à côté du pied gauche du mort, un petit objet luisait. Hergot tendit la main et le mit dans sa poche. La Flak se tut. C’était la trêve de l’aube. La canonnade allait reprendre bientôt son balayage aérien. Pendant cette accalmie, une grive musicienne lança un trille. En s’aidant de ses mains tellement la pente était forte sur les derniers mètres, Hergot remonta sur le bas-côté de la route et resta là, à quatre pattes, quelques longues minutes, à respirer l’air du matin. Si Mathilde le voyait ? Elle l’apercevait peut-être de là-haut. En se relevant, Etienne Hergot se mit à sangloter. Mathilde, son épouse, n’avait pas survécu à trois semaines d’exode exténuantes, le laissant seul avec leur...




