E-Book, Französisch, 160 Seiten
Rolland Au-dessus de la mêlée
1. Auflage 2024
ISBN: 978-2-322-51401-4
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Un plaidoyer pour la paix au début de la Grande Guerre
E-Book, Französisch, 160 Seiten
ISBN: 978-2-322-51401-4
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Véritable manifeste pacifiste, "Au-dessus de la mêlée" de Romain Rolland est un texte fondateur qui appelle à la lucidité et à la non-violence face à l'horreur de la Grande Guerre. Publié en septembre 1914 dans le Journal de Genève, cet article retentissant exhorte les belligérants à prendre de la hauteur pour saisir l'ampleur du désastre qui s'annonce. Avec une clairvoyance et un courage exceptionnels, Rolland dénonce la folie meurtrière qui s'empare de l'Europe, entraînant les peuples dans une tragédie fratricide. Refusant de céder aux passions nationalistes et à la rhétorique guerrière, il en appelle à la raison, à l'humanité, à la communion des esprits par-delà les frontières. Mais "Au-dessus de la mêlée" n'est pas seulement un cri d'alarme. C'est aussi un vibrant plaidoyer pour un idéal de paix et de fraternité universelle, enraciné dans les valeurs humanistes de la culture européenne. Aux "idoles" sanglantes de la patrie et de la race, Rolland oppose la figure de "l'Homme libre", citoyen du monde et serviteur de la vérité. Incompris et vilipendé en son temps, ce texte prophétique vaudra à son auteur les pires attaques mais aussi le prix Nobel de littérature en 1915. Salué par une minorité d'intellectuels comme Bertrand Russell ou Stefan Zweig, il deviendra après-guerre un classique de la pensée pacifiste et non-violente. Plus d'un siècle après sa parution, "Au-dessus de la mêlée" n'a rien perdu de sa force et de son actualité. Face aux fanatismes et aux tentations guerrières qui menacent notre temps, la voix de Romain Rolland résonne comme un appel toujours nécessaire à l'éveil des consciences et à la fraternité humaine. Un message d'une brûlante urgence, à méditer plus que jamais en ces temps troublés.
Romain Rolland (1866-1944) est un écrivain, dramaturge et essayiste français, figure majeure du pacifisme au XXe siècle. Né dans une famille bourgeoise, il fait de brillantes études avant de se tourner vers la littérature et l'histoire de l'art. C'est avec son roman-fleuve "Jean-Christophe" (1904-1912), épopée d'un musicien de génie, que Rolland accède à la notoriété. Mais c'est surtout son engagement pacifiste pendant la Première Guerre mondiale qui le fait connaître du grand public. Réfugié en Suisse, il publie "Au-dessus de la mêlée" en 1914, un article retentissant qui lui vaut l'hostilité des milieux nationalistes mais aussi le prix Nobel de littérature en 1915. Après la guerre, Rolland poursuit son combat pour la paix et la réconciliation des peuples. Admirateur de Gandhi et de Tagore, il se fait le passeur entre les cultures d'Orient et d'Occident. Compagnon de route du communisme dans les années 1930, il rompt avec Staline après les procès de Moscou. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Rolland, malade et isolé, continue d'écrire contre le nazisme et l'antisémitisme. Il meurt en 1944, laissant une oeuvre considérable, de la biographie de Beethoven au cycle romanesque "L'Âme enchantée". Humaniste intransigeant, apôtre infatigable de la non-violence, Romain Rolland a incarné la figure de l'intellectuel engagé au service de la vérité et de la justice. Un héritage qui reste d'une brûlante actualité face aux défis de notre temps.
Autoren/Hrsg.
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II
PRO ARIS
Septembre 1914.[1] Parmi tant de crimes de cette guerre infâme, qui nous sont tous odieux, pourquoi avons-nous choisi, pour protester contre eux, les crimes contre les choses et non contre les hommes, la destruction des œuvres et non pas celle des vies ? Plusieurs s’en sont étonnés, nous l'ont même reproché, — comme si nous n’avions pas autant de pitié qu’eux pour les corps et les cœurs des milliers de victimes qui sont crucifiées ! Mais de même qu’au-dessus des armées qui tombent plane la vision de leur amour, de la Patrie, à qui elles se sacrifient, — au-dessus de ces vies qui passent passe sur leurs épaules l'Arche sainte de l’art (et de la pensée des siècles. Les porteurs peuvent changer. Que l’Arche soit sauvée ! À l’élite du monde en incombe la garde. Et puisque le trésor commun est menacé, qu’elle se lève pour le protéger. J’aime à voir que, d’ailleurs, ce n’est pas dans les pays latins que ce devoir sacré a pu jamais cesser d’être tenu pour le premier de tous. Notre France, qui saigne de tant d’autres blessures, n’a rien souffert de plus cruel que de l’attentat contre son Parthenon, la cathédrale de Reims, Notre-Dame de France. Les lettres que j’ai reçues de familles éprouvées, de soldats qui, depuis deux mois, supportent toutes les peines, me montrent (et j’en suis fier, pour eux et pour mon peuple) qu’aucun deuil ne leur fut plus lourd. — C’est que nous mettons l’esprit au-dessus de la chair. Bien différents en cela de ces intellectuels allemands qui, tous, à mes reproches pour les actes sacrilèges de leurs armées dévastatrices, m’ont répondu, d’une voix : « Périssent tous les chefs-d’œuvre, plutôt qu’un soldat allemand !... » Une œuvre comme Reims est beaucoup plus qu’une vie : elle est un peuple, elle est ses siècles qui frémissent comme une symphonie dans cet orgue de pierre ; elle est ses souvenirs de joie, de gloire et de douleur, ses méditations, ses ironies, ses rêves ; elle est l’arbre de la race, dont les racines plongent au plus profond de sa terre et qui, d’un élan sublime, tend ses bras vers le ciel. Elle est bien plus encore : sa beauté qui domine les luttes des nations, est l’harmonieuse réponse faite par le genre humain à l’énigme du monde, — cette lumière de l’esprit, plus nécessaire aux âmes que celle du soleil. Qui tue cette œuvre assassine plus qu’un homme, il assassine l’âme la plus pure d’une race. Son crime est inexpiable, et Dante l’eût puni d’une agonie éternelle de sa race, — éternellement renouvelée. Nous qui répudions l’esprit vindicatif de ce cruel génie, nous ne rendons pas un peuple responsable des actes de quelques-uns. Il nous suffit du drame qui se déroule sous nos yeux, et dont le dénouement presque infaillible doit être l'écroulement de l'hégémonie allemande. Ce qui le rend surtout poignant, c’est que pas un de ceux qui constituent l’élite intellectuelle et morale de l’Allemagne, — cette centaine de hauts esprits et ces milliers de braves cœurs, dont aucune grande nation ne fut jamais dépourvue, — pas un ne se doute vraiment des crimes de son gouvernement ; pas un, des atrocités commises en Wallonie, dans le Nord et dans l'Est français, pendant les deux ou trois premières semaines de la guerre ; pas un, (cela semble une gageure !) de la dévastation volontaire des villes de Belgique et de la ruine de Reims. S’ils venaient à envisager la réalité, je sais que beaucoup d’entre eux pleureraient de douleur et de honte ; et de tous les forfaits de l’impérialisme prussien, le pire, le plus vil, est d’avoir dissimulé ses forfaits à son peuple : car, en le privant des moyens de protester contre eux, il l’en a rendu solidaire pour des siècles ; il a abusé de son magnifique dévouement. Certes, les intellectuels sont coupables, eux aussi. Car si l’on peut admettre que les braves gens qui, dans tous les pays, acceptent docilement les nouvelles que leur donnent en pâture leurs journaux et leurs chefs, se soient laissés duper, on ne le pardonne pas à ceux dont c’est le métier de chercher la vérité au milieu de l’erreur et de savoir ce que valent les témoignages de l’intérêt ou de la passion hallucinée ; leur devoir élémentaire (devoir de loyauté autant que de bon sens), avant de trancher dans ce débat affreux, dont l'enjeu était la destruction de peuples et de trésors de l’esprit, eût été de s’entourer des enquêtes des deux partis. Par loyalisme aveugle, par coupable confiance, ils se sont jetés tête baissée dans les filets que leur tendait leur impérialisme. Ils ont cru que le premier devoir pour eux était, les yeux fermés de défendre l’honneur de leur État contre toute accusation. Ils n’ont pas vu que le plus noble moyen de le défendre était de réprouver ses fautes et d’en laver leur patrie... J’ai attendu des plus fiers esprits de l’Allemagne ce viril désaveu qui aurait pu la grandir, au lieu de l’humilier. La lettre que j’écrivis à l’un d’eux, au lendemain du jour où la voix brutale de l’Agence Wolff proclama pompeusement qu’il ne restait plus de Louvain qu’un monceau de cendres, — l’élite entière d’Allemagne l’a reçue en ennemie. Elle n’a pas compris que je lui offrais l’occasion de dégager l’Allemagne de l’étreinte des forfaits que commettait en son nom son Empire. Que lui demandais-je ? Que vous demandais-je à tous, artistes d’Allemagne ? — D’exprimer tout au moins un regret courageux des excès accomplis et d’oser rappeler à un pouvoir sans frein que la patrie elle-même ne peut se sauver par des crimes et qu’au-dessus de ses droits sont ceux de l’esprit humain. Je ne demandais qu’une voix, une seule qui fût libre... Aucune voix n’a parlé. Et je n’ai entendu que la clameur des troupeaux, les meutes d’intellectuels aboyant sur la piste où le chasseur les lance, cette insolente Adresse où, sans le moindre essai pour justifier ses crimes, vous avez, unanimement, déclaré qu’ils n’existaient point. Et vos théologiens, vos pasteurs, vos prédicateurs de cour, ont attesté de plus que vous étiez très justes et que vous bénissiez Dieu de vous avoir faits ainsi... Race de pharisiens ! Quel châtiment d’en haut flagellera votre orgueil sacrilège !... Ah ! vous ne vous doutez pas du mal que vous aurez fait aux vôtres ! La mégalomanie, menaçante pour le monde, d’un Ostwald ou d’un H.-S. Chamberlain[2], l’entêtement criminel des quatre-vingt-treize intellectuels à ne pas vouloir voir la vérité, auront coûté plus cher à l’Allemagne que dix défaites. Que vous êtes maladroits ! Je crois que de tous vos défauts, la maladresse est le pire. Vous n’avez pas dit un mot, depuis le commencement de cette guerre, qui n’ait été plus funeste pour vous que toutes les paroles de vos adversaires. Les pires accusations qu’on ait portées contre vous, c’est vous qui en avez fourni, de gaieté de cœur, la preuve ou l’argument. De même que ce sont vos Agences officielles qui, dans l’illusion stupide de nous terroriser, ont lancé, les premières, les récits emphatiques de vos plus sinistres dévastations, — c’est vous qui, lorsque les plus impartiaux de vos adversaires s’efforçaient, par justice, de limiter à quelques-uns de vos chefs et de vos armées la responsabilité de ces actes, en avez rageusement réclamé votre part. C’est vous qui, au lendemain de cette ruine de Reims, qui, dans le fond du cœur, devait aussi consterner les meilleurs d’entre vous, au lieu de vous excuser, vous en êtes, par orgueil imbécile, vantés[3]. C’est vous, malheureux, vous, représentants de l’esprit, qui n’avez point cessé de célébrer la force et de mépriser les faibles, comme si vous ne saviez pas que la roue de la fortune tourne, que cette force un jour pèsera de nouveau sur vous, ainsi qu’aux siècles passés, où du moins vos grands hommes conservaient la ressource de n’avoir pas abdiqué devait elle la souveraineté de l’esprit et les droits sacrés du droit !... Quels reproches, quels remords vous vous préparez pour...